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à droite et à gauche, et sont comme les arbres de ce paysage fantastique qu’encadre une épaisse touffe de volubilis, dont la douce verdure fait valoir admirablement l’ineffable douceur d’un fond de ciel glauque pareil à celui que M. Delacroix a donné à son Elysée de la coupole du Luxembourg. En présence de ces magnificences de palette, comment se rappeler qu’il existe d’autres tableaux du même genre, et que Mme Apoil, MM. Fouquet, Couder et Lemercier, peintres ordinaires du royaume de Titania, ont aussi quelques droits à l’estime publique ? Je ne dois pas omettre pourtant une mention spéciale et toute particulière pour deux gouaches de M. Chabal-Dussurger. L’Etude de chrysanthème de M. Chabal-Dussurger est un véritable chef-d’œuvre, qui aura de plus le mérite de satisfaire les botanistes les plus méticuleux.

Les honneurs du salon sont incontestablement pour M. Corot. En tout temps, ses quatre petits paysages, Vue prise à Volterra., Site du Limousin, Vue prise à Ville-d’Avray, Etude du Colisée de Rome, eussent attiré l’attention et conquis les suffrages. Par son Christ au jardin des Oliviers, M. Corot a pris définitivement place au premier rang des peintres contemporains. Le Christ au jardin des Oliviers n’est point seulement un paysage, c’est un tableau d’histoire, le seul vraiment original qu’on puisse concevoir aujourd’hui et qui réponde exactement au sentiment de notre époque. Ce n’est pas la science consommée de Poussin, mais en place une inspiration mélancolique, une entente à la fois naïve et profonde de la nature, dont le commerce exclusif a sauvé l’individualité de l’artiste au milieu de la lutte des systèmes et de la confusion des souvenirs. La conception de ce sujet tant de fois répété est la plus naturelle, et, pour cette raison même, la plus neuve. Il est si rare qu’une idée simple ait chance d’être admise. Le Christ est étendu sur le sol, dans un état de prostration ; ses forces sont épuisées par la lutte nocturne ; les derniers fantômes de la nuit s’évanouissent ; l’aurore commence à poindre et pâlit le fond du ciel. Dans l’obscurité d’un chemin creux, à quelque distance, on voit venir, sans les entendre encore, les soldats dont les armes reluisent à la lueur des fanaux. Sur le premier plan, tout est ombre et silence. Les oliviers au tronc gigantesque et tourmenté étendent leur feuillage grisâtre sur les apôtres endormis dans un coin de ravin ; au-dessus, le ciel est encore bleu, et les étoiles scintillent. Dans Le frisson matinal qui agite légèrement le feuillage, il semble qu’on sente l’orage venir. Quelle tristesse profonde, quelle douloureuse poésie dans toute cette scène ! M. Corot excelle à rendre les lueurs indécises du crépuscule, la lumière vaporeuse du jour luttant avec les voiles de la nuit, la profondeur et le mystère des bois. Ses qualités apparaissent ici à un haut degré. La dégradation du ciel, depuis la teinte la plus obscure du zénith jusqu’à la