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près on ne voit réellement qu’une toile sur laquelle le couteau s’est promené au hasard. De même, dans un fond de nuages ou dans les dégradations d’un mur qui s’effrite, l’imagination crée les scènes et les images les plus fantastiques. La pratique de M. Rousseau est d’un dangereux exemple, de même que celle de M. Diaz. M. Rousseau a quelques détails qu’il traite supérieurement ; mais son exécution incomplète sacrifie tout à l’effet partiel et souvent imperceptible qu’il affectionne. M. Rousseau a exposé un troisième paysage : Une Avenue de grands arbres dont le soleil perce le feuillage. Le ton général est brillant et contraste avec les habitudes de M. Rousseau ; mais les arbres manquent de modelé ; il n’y a pas assez d’air et de profondeur. En somme, je suis ravi, pour ma part, que l’avénement d’un nouvel ordre de choses dans la république des arts ait mis enfin M. Rousseau en contact avec le public. Les succès auxquels peut prétendre cet artiste réellement remarquable n’en seront désormais que de meilleur aloi pour être dégagés du huis-clos et de l’intimité bienveillante de l’atelier. En cessant d’être martyr, il restera ce qu’il est véritablement : un coloriste énergique et un copiste heureux de la nature des environs de Paris.

M. Paul Huet, avec une exécution moins avancée, déploie une imagination plus féconde, et qui de plus s’est enrichie par la comparaison et les voyages. Il compose d’une façon pittoresque, quelquefois même excentrique, et son dessin porte une sorte de cachet héroïque ; il aime les arbres à proportions fastueuses, qui abriteraient une tribu sous leur branchage séculaire, comme le Chêne de saint Corneille à Compiègne, dont il a rendu savamment les masses superbes ; il reproduit de préférence les sites abrupts des Alpes et des Pyrénées, qu’il est allé étudier sur place. Le Monte Calvo et les Environs du Col de Tende sont un souvenir fidèle de cette chaîne de la Ligurie qui, aux lignes sévères des Alpes, joint déjà l’ardente couleur dorée du Midi. Il y a aussi de M. Huet des paysages au fusin d’une touche tout-à-fait magistrale et que bien des gens estiment à l’égard de ses tableaux. M. Troyon, au contraire, serait plutôt de l’école de M. Rousseau. Ses paysages, assez vulgaires de conception et peu attrayans, dénotent une adresse extraordinaire et un procédé très perfectionné. Il y a pourtant quelque monotonie dans sa touche rustique ; arbres, terrains, animaux, ont un aspect crépi un peu trop uniforme. Cette année, M. Troyon s’est jeté dans les bergeries. Il a peint des moutons, non des moutons peignés et bichonnés comme ceux de M. Brascassat, mais de braves bêtes à la toison épaisse et jaunâtre, tantôt pressant et se culbutant dans un chemin creux d’où leurs pieds soulèvent un nuage de poussière, tantôt serrées les unes contre les autres et recevant une froide ondée d’octobre avec une résignation mélancolique. Les grasses prairies où les vaches enfoncent