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épaule, et ses mains, croisées sur ses genoux, laissent échapper les pelotes de laine. Pourquoi ce détail, par exemple ? Qu’importait que cette belle endormie fût la reine d’Ithaque ou tout autre ? Le mouvement général de cette figure est indiquée avec beaucoup de justesse dans toutes les parties, et la tête, les épaules, le corps, les bras, les draperies, tout s’affaisse bien ensemble et naturellement, rien ne trouble l’accord des lignes. L’analyse des détails n’est pas moins favorable à M. Cavelier. La tête est superbe, d’une beauté sévère, tempérée par cette placidité du sommeil qui détend les traits et allége le front du poids de la vie. La courbure du corps qui porte sur la hanche droite est très régulièrement conduite et sentie sous les draperies. Celles-ci sont de deux espèces : l’une, plus fine et dans le goût des draperies mouillées des anciens, forme le vêtement de dessous plus léger et à mille petits plis chiffonnés ; le manteau, au contraire, est d’une étoffe plus forte, à larges plis. Une partie est jetée sur le dossier de la chaise, et l’autre enveloppe le bas du corps depuis la ceinture, toute cette masse d’étoffes est habilement traitée, sauf un peu de lourdeur dans le vêtement inférieur. Quant aux mains et aux pieds, ils pourraient être un peu plus finis : entre autres le pied gauche, qui dépasse le bas du manteau ; mais ces petites irrégularités sont bien peu de chose et ne changent rien à l’aspect majestueux de l’ensemble. La main de M. Cavelier a assurément encore à s’exercer, et ce jeune artiste rencontrera certains ciseleurs plus habiles dans l’art d’assouplir le marbre et de faire frissonner la chair ; mais à coup sûr, par la noblesse de la pensée, par l’ordonnance et la chaste beauté de la composition il l’emporte dès aujourd’hui sur plus d’une renommée acquise. Ces qualités donnent pas la popularité, j’en conviens, et, quand on ne flatte p les yeux sensualistes de la foule, il ne faut pas s’attendre à être prôné et reproduit en mille réductions à l’usage des cheminées de boudoir ; mais l’avenir et la gloire qui fait vivre au-delà du trépas, sont pour celui qui conserve religieusement la dignité de son art, qui dédaigne de vulgaires suffrages et ne se fait pas le pourvoyeur des instincts grossiers et dépravés.

M. Pradier, jaloux apparemment du succès que M. Clesinger avait moissonné dans son domaine, a opposé à la Bacchante que chacun sait une Flore caressée par Zéphyr, exprimant un sentiment analogue avec tout le naturel que M. Pradier sait mettre à tous ses ouvrages. Quel abandon, quelle langueur, quel tremolo dans ce corps qui se courbe pour aspirer le souffle désiré ! Comme cette gorge s’enfle, comme cette bouche se pâme, comme ces yeux se meurent ! Voilà une belle représentation, monsieur Pradier, et l’on ne saurait trop louer le scrupule pudique avec lequel vous avez jeté sur le tout un titre mythologique, passeport bien plus décent que la fameuse couleuvre en plomb inventée par