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Voilà dans Homère ce que j’appellerais volontiers le prologue du récit des enfers, prologue triste et sombre, qui prépare l’imagination dit lecteur aux évocations que va faire Ulysse et aux lamentations des ombres qu’il doit interroger. — Dans Virgile, même art pour produire une sorte de terreur mystérieuse. Avant de faire entrer Énée dans les enfers, le poète invoque les dieux souterrains :

Vos quibus imperium est animarum, umbraeque silentes,
Et Chaos et Phlegeton, loca nocte silentia late,
Sit mihi fas audita loqui, sit numine vestro
Pandere res alta terra et caligine mersas.

Cette permission demandée aux dieux des ombres de révéler les mystères de leur empire jette dans l’ame une sorte d’effroi qui la prépare à la vue des prodiges de l’enfer.

Dans les apocryphes, la descente aux enfers est préparée avec moins d’habileté oratoire ; le prologue est plus simple, il a quelque chose de plus vrai ; rien n’y sent l’artifice du poète. Le sépulcre de Jésus-Christ a été trouvé vide ; les prêtre et les scribes, assemblés chez Pilate, s’inquiètent de cette circonstance ; ne sont-ce pas les soldats préposés à la garde du sépulcre qui se sont laissé corrompre par les disciples et qui leur ont laissé enlever le corps de leur maître ? Pendant qu’ils délibèrent, Joseph d’Arimathie vient leur annoncer que deux hommes, depuis long-temps morts, les fils du grand-prêtre Siméon, mort lui-même depuis bien long-temps, Carinus et Leucius, ont été rencontrés dans Jérusalem avec plusieurs saints et plusieurs patriarches ressuscités comme eux, nouveau miracle qui ajoute à la terreur des prêtes. « Carinus et Leucius, continue Joseph, sont maintenant dans la ville d’Arimathie Faites-les venir, si vous voulez, et demandez-leur, en les adjurant d’être sincères, ce qu’ils ont vu et ce qu’ils ont entendu. » Les prêtres suivent le conseil de Joseph : ils font venir Leucius et Carinus, qui entrent dans la synagogue, et alors, fermant les portes du temple, Anna et Caïphe prennent le livre de la loi du Seigneur, le mettent entre les mains des deux ressuscités, et les adjurent, par le nom tout-puissant d’Adonaï, par le nom du Dieu d’Israël, de leur dire comment ils sont ressuscités du milieu des morts. En entendant cette solennelle adjuration, Carinus et Leucius, jusque-là restés muets, poussèrent un profond soupir, levèrent les yeux au ciel, firent le signe de la croix, puis demandèrent qu’on leur donnât de quoi écrire ce qu’ils avaient vu et entendu. Et alors, s’asseyant chacun à une table, ils écrivirent ce qui suit, et, quand les prêtres comparèrent les deux récits, ils virent avec admiration qu’il n’y avait pas un mot de plus ni un mot de moins dans l’un que dans l’autre. »

Il n’y a là ni ombres évoquées par le sang des sacrifices, ni invocation