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Je ne m’étonne pas que la peinture italienne ait souvent reproduit cette scène. Cette lueur qui se lève sur les tombeaux des patriarches, ces personnages de l’Ancien Testament avec leur figure et leurs attributs traditionnels, remplis tous d’une pieuse attente, quel tableau ! et en même temps quelle admirable invention épique ! Comme tous les temps se trouvent réunis et personnifiés dans ce moment suprême ! Chaque patriarche a son caractère : Adam, l’auteur de la chute, qui voit luire enfin le jour si long-temps attendit de la rédemption ; Seth, le premier des élus de Dieu sur la terre, et qui raconte comment il s’entretenait avec les anges ; le prophète, qui s’applaudit de n’avoir pas espéré en vain ; le précurseur, qui marche toujours devant Jésus dans les enfers comme sur la terre ; le vieux Siméon enfin, qui reconnaît dans son libérateur l’enfant qu’il a reçu dans le temple ; tant de prophéties, tant d’espérances qui vont se vérifier, et surtout l’accomplissement des temps, ce grave et terrible mystère qui a pour dénoûment le salut de l’humanité, tout est grand et beau, sublime et touchant. On se sent à la fois ému et élevé en voyant la piété et la reconnaissance de tous les patriarches. Dans cette scène, Dieu et l’homme se rencontrent sans que Dieu y efface l’homme ; c’est là vraiment le caractère de la poésie épique.

Pendant que les saints se réjouissaient ainsi, Satan dit à l’enfer : « Prépare-toi à recevoir ce Jésus qui se glorifie d’être le fils de Dieu, et qui est un homme craignant la morts, car je lui ai entendu dire : Mon ame est triste jusqu’à la mort. » L’enfer, répondant à Satan son prince, lui dit : « Si c’est un homme craignant la mort, comment a-t-il pu être si puissant ? car il n’y a pas de puissance sur la terre qui ne soit soumise à mon pouvoir et au tien. Prends garde : quand il dit qu’il craint la mort, il veut te tromper, afin de te saisir de sa main puissante, et alors malheur à toi dans les siècles des siècles ! » Satan, prince du Tartare, répondant à l’enfer : « ’Pourquoi as-tu peur, dit-il, de recevoir ce Jésus, mon ennemi et le tien ? Je l’ai tenté, j’ai excité contre lui les Juifs, mon ancien peuple ; j’ai aiguisé la lame qui l’a frappé ; je lui au fait boire du fiel et du vinaigre, j’ai préparé le bois qui l’a crucifié et les clous qui l’y ont attaché ; sa mort est proche, et je vais te l’amener pour être ton esclave et le mien. » L’enfer répondant à son Prince : « Ne m’as-tu pas dit qu’il m’avait arraché plusieurs morts ? N’est-ce pas lui qui m’a ôté Lazare, déjà enterré depuis quatre jours et déjà près de la putréfaction ? N’est-ce pas lui qui l’a ranimé d’un mot de sa bouche ? — Oui, dit Satan, c’est lui. » Et alors l’enfer s’écria : Je t’en conjure, ne me l’amène pas, car, je m’en souviens, quand j’ai entendu sa parole, j’ai été frappé d’épouvante. Je sais maintenant quel est ce Jésus, et, si tu l’amènes ici, il délivrera tous les morts qui sont enchaînés dans mes cachots, et les emmènera avec lui au paradis. »