Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/647

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puis-je me comparer sur la terre ? Les filles d’Israël me raillent et m’ont chassée du temple du Seigneur. Puis-je me comparer aux oiseaux du ciel ? Mais les oiseaux du ciel sont féconds devant le Seigneur. À qui me comparer ? Aux animaux de la terre ? Mais les animaux de la terre sont féconds aussi devant le Seigneur. À qui suis-je semblable ? Suis-je semblable aux eaux ? Mais les eaux elles-mêmes sont fécondes devant le Seigneur : les eaux orageuses de la mer et les eaux paisibles des rivières regorgent de poissons qui te louent, ô Seigneur ! À qui donc suis-je semblable ? Je ne plus pas me comparer à la terre, car la terre elle-même porte ses fruits dans sa saison et te loue par sa fertilité. »

Pendant qu’Anne pleurait ainsi, un ange apparut à Joachim dans le désert, et lui prédit qu’il aurait un enfant, une fille, « qui n’avait point eu de pareille dans le temps passé, et qui n’en aurait point dans le temps futur[1]. » Joachim, consolé par cette promesse, « Si ton serviteur, dit-il à l’ange, a trouvé grace devant toi, daigne te reposer un instant sous ma tente et goûter la nourriture que je t’ai préparée[2]. » La réponse de l’ange indique déjà une civilisation moins naïve et une intelligence plus raisonneuse : « Je n’ai pas besoin, dit-il, des nourritures des hommes, moi que repaît sans cesse la présence du Dieu tout-puissant[3]. » Au temps d’Abraham, les anges acceptaient l’hospitalité des patriarches. Et à peine l’ange eut-il ainsi parlé, à peine Joachim eut-il achevé de faire le sacrifice qu’il lui ordonnait d’offrir au Seigneur, que l’ange s’envola vers les cieux dans la fumée même du sacrifice[4], trait gracieux et poétique ajouté par Roswitha au récit de l’Évangile apocryphe.

La prédiction de l’ange fut bientôt accomplie, et Aime enfanta une fille : ce fut la mère du Sauveur. La joie d’Anne, en se voyant mère, fut aussi grande que sa tristesse aux jours de sa stérilité. « Dieu, s’écriait-elle, m’a visitée et a retiré loin de moi les reproches de mes ennemies. Il m’a donné un enfant, œuvre de sa justice. Qui annoncera aux fils de Ruben qu’Anne est mère et allaite sa fille ? Écoutez, ô femmes des douze tribus d’Israël : Anne est mère et allaite sa fille. » Voilà des sentimens de joie maternelle que la religieuse de Gandesheim n’a pas traduits. Cette omission indique une des différences entre la religion juive et la

  1. Nec primam similem, nec fertur habere sequentem.

  2. Ad quem, promissis Joachim laetatus in illis,
    Si mihi certa tuo mancat tua gratia servo,
    Ad tempus dignare meo requiescere tecto,
    Et gustare cibum non dedignare paratum.

  3. <

    Nam milii terrenis opus est non vescier escis,
    Quem pascit Domini semper praesentia magni.

  4. Angelus, his votis, ut jussit, rite peractis,
    Altaris fumo sublatus pergit ad astra.