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WATERLOO TRENTE-QUATRE ANS APRÈS LA BATAILLE.

supportent le bloc carré de dix-huit à vingt pieds d’élévation, où on lit cette simple inscription : XVIII JUIN MDCCCXV, et au sommet duquel l’héroïque animal est fixé. Ces diverses pièces superposées l’élèvent si haut ; qu’il est difficile de le voir à son aise des divers points de la plate-forme où l’on se place, quoiqu’il ait quatorze pieds : on ne distingue bien qu’une partie de sa tête et de sa queue. Il n’est pas en bronze, ainsi que quelques voyageurs l’ont écrit, mais en fer bronzé ; sa patte s’appuie sur une grosse boule du même métal. Il a été fondu à Seraing, dans un des ateliers du célèbre Cockerill. Ce morceau ne mérite aucune mention comme œuvre d’art, et c’est une faute. Quand on croit avoir gagné la bataille de Waterloo, quand on appelle de tous les points cardinaux la curiosité des peuples sur une place unique dans l’univers, on doit un autre monument à l’histoire et à la postérité. Il est un peu trop sans façon de commander à un industriel belge, comme on lui aurait commandé une locomotive, un lion destiné à résumer la plus grande bataille des temps modernes. Pourquoi de fer ? pourquoi même en bronze ? pourquoi pas en argent ou en or ? Est-ce par économie qu’on l’a coulé en fer ? Je le crains. Décidément ce lion en fer battu, en métal de marmite, n’est qu’un ridicule joujou obtenu au meilleur marché possible. En général, les Belges ne sont pas heureux dans l’exécution monumentale des lions, qu’ils affectionnent beaucoup, je ne sais trop pourquoi, à moins que ce ne soit en souvenir de la domination batave. Partout on voit des lions en Belgique, et partout ils sont ridicules comme des bourgmestres de village. Ils sont affreux, ils ressemblent à des hommes. Je ne passais jamais sans douleur devant le palais du prince d’Orange, et je n’entrais jamais sans une profonde mélancolie dans le parc, à Bruxelles, tant les lions que j’apercevais me navraient par leur laideur, leur perruque de conseiller et leurs épouvantables grimaces. Il n’est pas généreux d’insulter ainsi le roi des animaux avec cette unanimité hostile.

C’est du haut de la plate-forme que les guides s’acquittent de l’acte le plus essentiel de leurs fonctions. La main tendue vers l’horizon, ils indiquent les points occupés par les différens corps d’armée présens à la bataille les terrains où les plus sanglans épisodes de la journée se sont passés, et les fermes, les ravins, les hameaux, les haies, les monticules pris et repris tantôt par les Français, tantôt par les soldats des armées coalisées. Il y a ceci de singulier que les scènes qu’ils racontent ont en général pour point de rappel, sur le terrain de l’évocation, des objets sans analogie aujourd’hui avec ces tragiques péripéties. À leur insu, ils suivent cette bonne nature étalée devant eux ; elle a couvert tous ces meurtres sous le manteau vert de la campagne. « Écoutez, disent-ils, ici dans ce bouquet d’arbres tomba mortellement frappé le général Ponsonby ; en face, où le vent agite ces blés, Picton, autre