Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/686

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
680
REVUE DES DEUX MONDES.

même pas assez que d’avoir une ame courageuse et héroïque contre le ma !: il faut encore, pour l’emporter sans contrôle, avoir une ame morale, enflammée par le feu des sphères supérieures. Les économistes se préoccupent du bien-être de leurs semblables, ils ne voient pas autre chose. Ils déclarent eux-mêmes borner leurs recherches aux choses immédiatement pratiques, humaines. Dans le mal ils ne voient qu’un fait, dans la cause du mal qu’un autre fait, rien que des événemens de la vie sociale, des accidens malheureux, des chutes imprévues, mais guérissables. Quelle cause pourrait déranger, s’il vous plaît, l’éternelle loi de l’offre et de la demande, l’équilibre entre la production et la consommation, si ce n’est un accident survenu dans l’industrie, une péripétie financière, etc. ? Si vous objectez : Mais le vice, mais la débauche, mais les mauvais penchans non combattus, mais l’enseignement du mal ? vous pouvez vous attendre à l’invariable réponse exprimée sous mille formes diverses, mais que nous traduisons ici dans toute sa nudité : Ah ! oui, l’absence d’enseignement primaire. Pour ne pas faire le mal, dans notre temps, il paraît qu’il suffit du talisman des vingt-quatre lettres de l’alphabet.

Et dans la philosophie ! Ah ! là enfin nous trouverons quelque reflet de l’ancien génie de l’idéalisme ? Détrompez-vous. Ceux-là même qui sentent le plus vivement la nécessité de ses principes les voilent autant qu’ils peuvent, les revêtent d’un costume de leur temps, et s’efforcent autant qu’il est en eux d’atténuer leur splendeur. Ils s’efforcent de faire de leur philosophie un véritable anthropomorphisme. Alors même qu’ils combattent les doctrines matérialistes, leurs dieux et leurs principes ont je ne sais quelle forme corporelle, humaine, périssable. C’est Apollon descendu parmi les bergers, implorant leur hospitalité que les bergers ont beaucoup de peine à lui accorder, alors même qu’ils connaissent la nature divine du céleste exilé ; on dirait, en vérité, que ce sont les choses idéales qui ont besoin de la terre, et qui envient la supériorité des choses d’ici-bas. Les philosophes réputés les plus avancés, les humanitaires, les socialistes, les utilitaires, les hégéliens, ont tous affirmé ce principe, l’ont poussé jusqu’à ses dernières conséquences. La notion philosophique de l’humanité domine exclusivement chez eux, et même dans ces dernières années ils n’ont plus pris la peine de faire découler leurs systèmes d’un principe métaphysique, comme le firent jadis leurs ancêtres Spinoza et Hegel, qui tirèrent tout leur échafaudage d’abstractions des notions de la substance et de l’être. Dans ces derniers temps, l’homme s’est nettement, résolûment posé en face de l’univers comme étant son roi et son maître, comme étant le principe et la source, le dernier asile et la tombe de toutes les choses visibles. Lorsque ses projets sont déjoués, il s’emporte et blasphème contre le mauvais génie inconnu qui l’arrête. Il n’accuse plus même Dieu, il s’attaque à une