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époque. Maintenant, quels enseignemens tirerons-nous de cet examen, quelle conclusion ?

Nous avons été amenés à faire sur nous-mêmes plus d’un retour amer, nous avons perdu plus d’une illusion. Chaque pas que nous faisons est un désenchantement, chaque parole que nous prononçons exprime un regret ; mais je crains que nous ne léguions aux générations qui nous suivront des enseignemens encore plus terribles. Les derniers voiles tomberont, les dernières illusions seront déchirées, et peut-être que d’ici à un siècle les hommes assisteront à un spectacle dont les annales du monde n’offrent pas d’exemple. Expliquons-nous.

De quelque manière que tournent les événemens, il est impossible qu’il n’arrive pas, pour les générations futures, un moment où elles désavoueront les principes et les croyances qui, jusqu’à présent, ont fait la vie et la force de l’humanité. Nous voulons, pour un instant, raisonner en sceptique : peut-être ce seront la croyance en l’humanité, la foi dans le principe, humain qui périront ; peut-être ce sera la croyance aux choses divines. De toutes façons, il en sortira une terrible expérience, car supposez un peu que le principe humain, au bout d’un certain laps de temps, ait passé dans les faits de telle façon qu’il soit mêlé à la vie sociale et qu’il en soit le fonds même, supposez qu’il soit reconnu comme une vérité incontestable. Voyez-vous alors le spectacle que présentera le monde ! Quel progrès ! comme on dit aujourd’hui, ou, pour mieux nous exprimer, quel soudain changement ! L’humanité revenue de ses erreurs premières, reconnaissant enfin sa puissance, sa divinité, se saluant elle-même, se proclamant reine du monde, faisant amende honorable au pied de ses autels, se demandant pardon à elle-même d’avoir si long-temps méconnu son essence, rougissant de son existence passée comme d’un mauvais rêve : quel réveil subit ! quel mépris alors pour les traditions, la sagesse, les religions des temps écoulés ! Tout cela s’éloigne et flotte comme un nuage qui obscurcissait le soleil et fuit rapidement vers la région des vapeurs. C’est un désillusionnement complet, mais enfin c’est le désillusionnement d’un enfant qui voit tomber sa candeur première et qui renonce sans regret à toutes les naïves croyances qui ne l’ont pas préservé et qui l’ont trahi. Dans ce cas, l’homme abandonnerait complètement les choses idéales ; mais, comme enfin ce serait l’abandon de l’illusion pour la vérité ce spectacle n’offre rien de comparable à celui qui se présenterait dans notre seconde hypothèse.

Au contraire, s’il arrive, un moment où l’homme, lassé de combattre et d’aller d’abîmes en abîmes, s’aperçoit qu’il s’est trompé ; s’il voit clairement qu’il est un être créé, que ses prétendus droits pourraient être inscrits sur une feuille d’arbre et que toute la surface de