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l’empereur, il y avait le patriarche : qu’était le patriarche de Constantinople sous les empereurs byzantins ? À Saint-Pétersbourg, le pouvoir temporel est séparé du pouvoir spirituel ; à côté du czar, il y a le saint synode : qu’est-ce que le saint synode, sinon un des bureaux de l’administration impériale ? L’église catholique n’est indépendante, dans tous les pays catholiques, que parce que le pape lui-même, à titre de prince temporel, est indépendant. Ôter le pouvoir temporel au pape, c’est le donner à quelqu’un, et ce quelqu’un devient aussitôt le maître du pape. Mettez le pape à Avignon, il devient le serviteur des rois de France ; mettez-le à Jérusalem, il est le serviteur du sultan. À Rome, si Rome est une république, il est le serviteur de M. Mazzini : il n’est libre que s’il est roi. Cette idée d’avoir à Rome un pouvoir temporel qui ne soit point la papauté est renouvelée des plus mauvais jours de l’histoire ecclésiastique. Au xe siècle, quand la féodalité s’établissait partout en Europe, elle voulut aussi s’établir à Rome, comme de nos jours la démagogie a essayé aussi de s’établir en Europe et à Rome. C’est le temps de la fameuse Marozie, et avant elle de Théodora, sa mère, que l’historien Luitprand appelle senatrix Romanorum, et qui, dit-il, gouvernait Rome très virilement : Romœ monarchiam non inviriliter obtinebat. Alors les papes étaient les serviteurs et les victimes de ces femmes hardies ou des tyrans féodaux qui s’emparaient de Rome et qui entendaient à leur manière la séparation du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel. Cette séparation est donc représentée dans l’histoire, au xe siècle, par Marozie, que l’historien Luitprand traite de courtisane, et, au xixe siècle, par M. Mazzini, que M. Lesseps traite de Néron. Nous consentons à en rabattre beaucoup des dires de l’historien et du diplomate ; mais, assurément, il n’y a rien là dont l’église catholique doive souhaiter le rétablissement. C’est à M. Arnaud de l’Ariège que nous adressons ces souvenirs de l’histoire ecclésiastique, parce que M. Arnaud de l’Ariège est catholique. Nous nous garderions bien de les adresser à tout autre membre de la montagne ; il nous traiterait de pédant ou de jésuite, témoin M. Frichon, qui a trouvé un moyen de discréditer Rome, c’est de l’appeler la capitale des jésuites. Rome ne se relèvera pas du coup que lui a porté M. Frichon.

Le discours de M. Arnaud de l’Ariège est fort consciencieux, mais il est étrange. M. Arnaud a, sans le savoir, deux religions qu’il veut accorder ensemble. Catholique, il croit que le pape est le successeur et le vicaire de Jésus-Christ sur la terre ; démocrate, il croit à la souveraineté du peuple et à l’infaillibilité du suffrage universel. Le plus grand reproche qu’il fait au gouvernement, c’est d’avoir détruit à Rome la souveraineté du peuple en rétablissant la papauté. Est-ce que par hasard il est possible à Rome de faire subsister à côté l’une de l’autre la souveraineté du peuple et la papauté ? Dans le gouvernement pontifical, le souverain, c’est Dieu représenté par le pape ; dans les gouvernemens fondés sur le principe de la souveraineté populaire, le souverain, c’est le nombre. Entre ces deux droits, il n’y a pas à Rome de transaction possible.

Aux yeux de M. Arnaud de l’Ariège, ce n’est pas seulement une mauvaise politique que d’avoir détruit la souveraineté du peuple à Rome, c’est une impiété. Pour lui, en effet, la souveraineté du peuple est un dogme religieux ; aussi, se faisant volontiers l’inquisiteur de cette foi nouvelle, il demande à ses collègues s’ils croient en la souveraineté du peuple. Il interpelle particulière-