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REVUE. — CHRONIQUE.

des temps où nous vivons. Des œuvres médiocres où la vulgarité des idées le dispute à la nullité de la forme, de grandes prétentions à l’originalité avec des lieux communs pour résultats, des efforts gigantesques pour stimuler la vie n’aboutissant qu’à la mort, tel est le spectacle que présentent les beaux-arts depuis les événemens de février. N’est-ce pas là aussi la peinture fidèle de la société que nous ont faite ces charlatans politiques qu’un instant d’erreur a portés au gouvernement de la France ? Pourquoi donc la révolution de février n’a-t-elle donné le jour ni à un tableau, ni à un chant, ni à un poème, ni même à un symbole de la république qu’on puisse sérieusement avouer ? Ce n’est pas la faute du gouvernement provisoire si les arts n’ont pas immortalisé son glorieux avènement, car ce gouvernement, qui avait du bon, mis naïvement au concours l’enthousiasme pour la république ! Comme le Dieu du Sinaï, il a dit : Que la lumière se fasse ; mais la lumière ne s’est point faite, parce que la nature, plus logique que les hommes, n’obéit qu’à la vraie puissance de l’esprit, et qu’elle ne se laisse pas surprendre comme nous par de mauvais comédiens. La révolution de 1789, l’empire, la restauration et la révolution de 1830 ont communiqué à la littérature, à la peinture, à la musique, à toutes les formes par lesquelles se révèlent la plénitude de la vie et l’enchantement de l’imagination, un mouvement spontané, dont le caractère indélébile est facile à reconnaître. Seule, la révolution de février est restée sans écho dans le monde de la fantaisie et n’a pas su trouver un barde qui voulût chanter sa victoire.

Quelle peut être la cause d’une si grande stérilité ? C’est que la catastrophe de février est l’œuvre d’une minorité factieuse, et non pas l’évolution naturelle de la pensée nationale. Quelques brouillons peuvent bien, par un coup de main dont nous connaissons maintenant la théorie, renverser un gouvernement ; mais il est plus difficile de communiquer à la société un souffle régénérateur, quand on n’a dans le cœur que des appétits grossiers et la haine des supériorités naturelles. L’homme charnel n’aperçoit point les choses qui sont de l’esprit de Dieu, a dit admirablement saint Paul ; et sans l’esprit de Dieu, qui est l’esprit de vérité, on ne fait rien de grand ni de durable. Il faut aux beaux-arts, pour fleurir en paix, une terre généreuse, qui ne soit pas remuée par de fallacieuses doctrines ; comme les fleurs des champs, les fleurs de l’intelligence ont besoin d’air, de lumière et de liberté. On ne réorganise pas plus les beaux-arts qu’on ne réorganise la société ; ces mots barbares, il faut les laisser aux sophistes qui les ont inventés pour abuser de la crédulité du peuple. Que la France guérisse les blessures que lui ont faites les empiriques qui prétendaient la régénérer, et les beaux-arts renaîtront parmi nous sans avoir besoin de la science sociale de M. Proudhon, ni de l’enthousiasme officiel du gouvernement provisoire.

L’événement le plus important qui se soit produit à l’Opéra depuis l’apparition du Prophète de M. Meyerbeer, c’est la fermeture de ce grand établissement lyrique. On avait repris depuis quelques jours le Dom Sébastien de Donizetti, qui n a pas fait sur le public une plus vive impression que dans sa nouveauté, lorsqu’on a vu apparaître tout à coup sur l’affiche de l’Opéra ces mots significatifs : Clôture pour cause de réparations ! Nous ne dirons pas qu’on se perd en conjectures sur les causes de cet événement, qui a fait sensation jusque dans l’assemblée nationale. Ce n’est pas la faute de Rousseau, ni celle de Voltaire si le premier théâtre lyrique de l’Europe, qui a traversé sans encombre les sanglantes