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REVUE. — CHRONIQUE.

goût de l’Europe, ou bien abandonnez-le aux caprices de la mode, et qu’il vive de sa propre vie. Croit-on qu’il soit utile de maintenir au milieu d’un peuple artiste et mobile gomme le nôtre certaines traditions de goût et de grandeur, de combattre la barbarie des sectes matérialistes par des œuvres fortes, où la langue de Molière et de Racine, celle de Gluck et de Grétry, n’interviendraient pour élever les ames en les calmant ? Les deux ou trois institutions modèles destinées à atteindre un but aussi élevé devraient, en ce cas, être placé sous la protection immédiate de l’état. Le gouvernement aurait sous sa tutelle directe trois théâtres : le Théâtre-Français, l’Opéra et l’Opéra-Comique. Toutes les autres entreprises théâtrales seraient complètement libres d’exploiter le genre qu’elles jugeraient le plus favorable à leurs intérêts. Pour les théâtres comme pour beaucoup d’autres choses, il n’y a que deux systèmes d’administration logiques et raisonnables : la liberté complète sans aucun sacrifice de la part de l’état, ou la protection du gouvernement pour quelques établissemens modèles luttant avec l’industrie particulière, afin d’en mieux diriger l’essor.

Sans être dans une situation très brillante, le théâtre de l’Opéra-Comique vit, et c’est beaucoup par le temps qui court. Il a donné un ou deux ouvrages qui égaient le fond de son répertoire ordinaire, et qui méritent l’attention de la critique. Il faut signaler d’abord les Monténégrins de M. Limnander. Cet opéra en trois actes, d’un style indécis et parfois trop ambitieux, renferme cependant des choses qui révèlent un véritable talent. La direction de l’Opéra-Comique fera bien de ne pas perdre de vue M. Limnander, qui peut lui être fort utile et devenir un compositeur remarquable. M. Adam a improvisé un petit acte, le Toreador, tout pétillant de vivacité et de bonne humeur. C’est de la musique légère, lestement arrangée pour le besoin de la cause, c’est-à-dire pour le talent de Mme Ugalde. Un autre ouvrage, très supérieur à ceux que nous venons de nommer, et qui semble avoir été composé également pour faire briller la verve de Mme Ugalde, c’est le Caïd de M. Ambroise Thomas. Le sujet de la pièce est une insigne bouffonnerie. Il s’agit d’un vieux caïd d’Alger dont la crédulité et la poltronnerie sont exploitées par une modiste française et par son amant. Sur ce canevas, d’une gaieté au moins équivoque, M. Ambroise Thomas a écrit une partition en deux actes d’un rare mérite. M. Ambroise Thomas est l’un des musiciens, les plus distingués de ce temps-ci. Il avait déjà donné des preuves de la finesse de son goût et de la solidité de son savoir dans un opéra en trois actes, Mina, lequel, sans avoir obtenu un très grand succès devant le public, a été remarqué des connaisseurs. Dans le Caïd, on trouve toutes les qualités déjà connues du talent de M. Ambroise Thomas, accompagnées, cette fois, d’une aisance, d’une franchise d’accent et d’une maturité de touche, qui sont une révélation et témoignent d’un véritable progrès. Il y a beaucoup d’entrain, de brio, et quelquefois même de l’invention dans la partie vocale du Caïd, et, quant à l’orchestration, c’est un chef-d’œuvre de goût et d’élégance. C’est à la fois la limpidité et la grace de l’orchestre de Cimarosa, relevées par les couleurs piquantes de celui de Rossini. L’opéra du Caïd ouvre à M. Ambroise Thomas les portes de l’institut, où il occupera, sans aucun doute, la première place vacante Faut-il ne rien oublier et mentionner la Saint-Sylvestre, opéra-comique en trois actes, dont la musique est de M. P. Bazin ? C’est une