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SACS ET PARCHEMINS.

joie triomphante. Pour ces murs qui lui rappelaient son humble origine, elle ne trouva pas un regret. Quand ils parurent sur le seuil de la porte, toutes les têtes se penchèrent aux fenêtres, un chuchotement ironique s’échappa de tous les étages, pas une main ne s’agita en signe d’adieu. Ils montèrent fièrement dans la chaise, les postillons firent claquer leur fouet et les chevaux partirent au grand trot. M. Levrault avait écrit à maître Jolibois le jour et l’heure de son arrivée à la Trélade.

La veille de leur départ, un voyageur en costume de chasse grimpait lestement sur l’impériale de la diligence de Paris à Nantes : c’était le vicomte Gaspard de Montflanquin.


II.


Le voyage se fit, on peut le croire, au milieu de rêves enivrans. La lettre de maître Jolibois avait surexcité les appétits de M. Levrault. Les hyperboles qui foisonnaient dans cette épître, comme des coquelicots dans un champ de blé, n’avaient pas toutes échappé à la pénétration de Laure ; seulement, la jeune fille n’avait pas saisi l’intention railleuse. Comment se fût-elle défiée de maître Jolibois ? Elle ignorait qu’il eût osé prétendre à sa main. Dans les complimens exagérés du tabellion, elle n’avait vu qu’un hommage rendu à la richesse ; Laure ne demandait rien de plus. Disons, en passant, que Mlle Levrault ne prenait pas au sérieux toutes les prétentions de son père. Elle les flattait pour s’en servir, mais elle en faisait bon marché d’ailleurs. Elle était sa complice sans être sa dupe. Ainsi que l’écrivait Étienne Jolibois au vicomte de Montflanquin, son unique préoccupation était d’échanger le nom roturier de sa famille contre un nom qui lui ouvrît les portes du monde et de la cour ; elle se promettait charitablement, ce but une fois atteint, de reléguer l’auteur de ses jours sur le second plan de sa destinée. Quant à M. Levrault, plus fier de ses écus qu’un Montmorency de ses aïeux, il trouvait tout simple que la noblesse de Bretagne se préparât à l’accueillir et à le fêter. Il comptait bien traiter avec elle de puissance à puissance, l’humilier à l’occasion, et prendre le haut du pavé. Il tenait de Turcaret pour le moins autant que de M. Jourdain. Non-seulement il n’admettait point qu’il pût venir à l’idée de personne de se railler d’un homme qui possédait trois millions, mais encore il n’avait pas découvert, dans toute la lettre de maître Jolibois, une seule expression dont sa modestie se fût effarouchée. Il la savait par cœur et se la récitait à lui-même pendant que les chevaux galopaient le long de la Loire. Le printemps s’annonçait avec splendeur. Depuis Blois jusqu’à Saumur, la route est un enchantement perpétuel. Tout entier à ses projets de grandeurs, M. Levrault ne voyait