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toujours ouverts ; mais, arrivé sous les arcades, j’oubliai le motif qui m’avait amené dans cette espèce de bazar, rendez-vous quotidien des oisifs de Mexico, et mon attention fut entièrement distraite par le tableau animé qui se déroulait sous mes yeux. On s’étonnera moins de cette distraction, si l’on se figure le magique aspect de la Plaza Mayor de Mexico une heure avant le coucher du soleil. Les Portales de los Mercaderes occupent en effet un des côtés de cette place immense, que la cathédrale, l’Ayuntamiento et le palais du président bornent les trois autres faces. Les plus belles rues de Mexico viennent déboucher entre ces édifices ; c’est la rue de la Primera-Monterilla, toute bordée de boutiques élégantes ; c’est la rue de los Plateros ou des Orfèvres, presque exclusivement occupée par des joailliers ou des bijoutiers. Puis, en regard de ces rues, où le commerce européen déploie, toute sa splendeur, le menu négoce mexicain semble avoir choisi pour théâtre les sombres arcades de los Mercaderes. À l’époque de mon séjour à Mexico, aucune innovation à la française n’était venue encore altérer la physionomie pittoresque de ces arcades, qui rappelaient assez fidèlement ce qu’on nomme à Paris les Piliers des Halles. De lourds arceaux s’adossaient d’un côté à de vastes magasins, de l’autre à des pilastres au pied desquels se dressaient des boutiques (alacenas) abondamment pourvues de livres de piété, de rosaires, de dagues et d’éperons. À côté de ces boutiques, comme pour représenter la vente de détail à ses derniers degrés, des léperos en haillons trafiquaient de quelques verroteries, et, leur fonds de commerce sur un doigt de la main, poursuivaient les chalands de leurs importunes sollicitations. De temps à autre, des vendeuses de canards sauvages en ragoût ou tamales[1], accroupies dans l’ombre des arceaux, mêlaient au bourdonnement de la foule leur cri si connu : Aqui hay pato grande, mi alma ; senorito, venga sted[2], ou celui non moins populaire et plus bref : Tamales queretanos[3]. Les passans et les acheteurs n’étaient pas moins curieux à observer que les marchands. La couleur chatoyantes des robes et des tapalos[4], l’or des mangas, les bariolages des sarapes, formaient, sous la douteuse lumière que laissaient pénétrer les pilastres, un pêle-mêle étincelant qui rappelait les plus folles mascarades vénitiennes. C’était le soir surtout que la foule qui se pressait sous les arcades des Mercaderes offrait un brillant spectacle. Le soir, échoppes et boutiques se fermaient, et les Arcades des Marchands devenaient un club politique. Assis sur le seuil des portes soigneusement verrouillées ou

  1. Espèces de quenelles faites de maïs et de viandes fortement assaisonnées de piment et cuites dans une feuille de maïs.
  2. « J’ai du bon canard, mon ame ; venez, mon jeune seigneur. »
  3. Tamales de Querétaro, ville à quarante lieues de Mexico.
  4. Châle qui sert aussi de coiffure.