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jeune fille, et je compris sans trop de peine le sens des paroles d’espoir qui venaient d’être adressées à la china.

La procession qui défilait en ce moment sur la place avait dans son aspect demi-comique, demi-lugubre, une originalité toute locale. Un cargador (portefaix) marchait en tête, portant sur ses épaules, à l’aide d’une courroie retenue par le front comme c’est l’habitude des portefaix mexicains), une chaise sur laquelle était attaché un homme ou plutôt un cadavre, enveloppé d’une couverture ensanglantée. L’assassin, placé entre quatre soldats, suivait immédiatement sa victime. Des curieux désœuvrés et quelques amis du mort grimaçant la douleur tant bien que mal fermaient le cortége. De tous ces hommes plus ou moins émus ou affairés, le plus tranquille sans contredit était le meurtrier qui fumait sa cigarette au milieu des soldats avec une merveilleuse nonchalance, adressant de temps à autre à sa victime des reproches que celui-ci, à sa grande surprise, laissait sans réponse. — Allons, voyons, disait-il, pas de mauvaises plaisanteries, Panchito. Tu sais bien que je n’ai pas les moyens de payer une pension à ta femme. Tu as beau faire le mort, je ne suis pas dupe — Mais Panchito était bien mort, quoi qu’en dît l’assassin, et je me sentis frissonner, je l’avoue, quand passa tout près de moi ce hideux cadavre dont les yeux gardaient sous les rayons ardens du soleil une effrayante fixité. L’amateur de taureaux était sans doute plus accoutumé que moi à de pareils spectacles, car il alla droit au cortége, l’arrêta, et, montrant au meurtrier la lettre de la china :

— Écoute, lui dit-il, tu n’es pas sans connaître l’illustre Pepito Rechifla ?

— Celui qui doit être étranglé demain. Parbleu, c’est mon compère.

— Eh bien ! comme tu n’as pas la chance d’être exécuté avant lui, tu vas le voir tout à l’heure et la prison. Tu lui remettras cette lettre de ma part.

— Ah ! seigneur cavalier, — interrompit en ce moment la jeune Mexicaine, qui, la figure baignée de larmes et le sein haletant, venait de se jeter aux pieds du meurtrier et de saisir à la manière antique un pan de son manteau, — par le sang du Christ et les mérites de la Vierge aux sept douleurs, n’oubliez pas de lui remettre ces adieux. Je suis si malheureuse de ne pouvoir arriver jusqu’à lui !

— Oui, Linda mia, oui, reprit le meurtrier en portant la main à ses yeux et en s’efforçant de donner à sa voix un accent pathétique. J’ai un cœur sensible aussi, et, sans ce damné Panchito qui me contrarie toujours, je ne serais pas ici, je vous le jure ; mais enfin ayez l’ame en repos, preciosita de mi alma !…

Une pièce de monnaie que l’amateur de taureaux jeta au prisonnier coupa court cette éloquente tirade, et les soldats s’empressèrent de reprendre leur marche vers la prison. Le cortége se perdit bientôt à