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comme des ombres, sur le sable qu’ils faisaient à peine crier. Je retrouvai là, mal déguisés sous l’ample abri du costume national, d’un couple mystérieux qui donnait raison à la chronique médisante des salons, et dont le public des Bouffes avait pu ce soir-là remarquer l’absence. À côté de femmes jeunes et belles, il y en avait aussi de celles qui penchent, selon l’expression anglaise, du côté nuageux de trente ans. On rencontrait encore bon nombre de ces doncellas chanflonas, de ces beautés de faux aloi dont parle Perez de Guevara. Je ne dis rien de ces coureurs d’aventures qu’on retrouve partout au Mexique, vrais types de matamores écorchant les dalles de leurs sabres et de leurs éperons. Telle était la foule joyeuse et bigarrée qui se pressait sur le Plaza Mayor à l’heure où je me dirigeais lentement, et non sans une certaine irrésolution, vers le Callejon del Arco.

Au premier pas que je fis dans la sombre ruelle, un courant d’air froid, comme celui qui s’échappe du soupirail d’une cave, me frappa au visage et me glaça jusqu’aux os. Je restai quelques secondes à l’entrée de l’impasse, cherchant à distinguer quelque trace de lumière aux fenêtres ou aux portes grillées des maisons ; mais tout y semblait mort et désert. Je pris alors mon parti, et je m’avançai presque à tâtons dans la direction de la maison que j’avais reconnue le jour même. J’étais arrivé près du carrefour dont j’ai parlé, quand un bruit de pas se fit entendre derrière moi, et je vis un homme qui, venant de la place, se dirigeait de mon côté. Je voulus me ranger sur le trottoir, mais je ne sais comment je m’embarrassai les jambes dans une longue rapière que portait le promeneur nocturne : je trébuchai, et je ne pus éviter une chute qu’en me retenant à son manteau. L’homme fit aussitôt un pas en arrière, et le grincement du fer m’avertit qu’il tirait son épée.

Capa de Dios ! s’écria-t-il, est-ce à ma personne ou à mon manteau que vous en voulez, seigneur voleur ?

Je crus reconnaître cette voix, et je me hâtai de répondre : — Je ne suis ni un voleur ni un assassin, seigneur don… don…

J’espérais que l’inconnu allait venir en aide a ma mémoire et décliner son nom ; mais il n’en fut rien, et s’adossant à la porte d’une maison voisine :

— Qui êtes-vous et que me voulez-vous ? me demanda-t-il brusquement.

— Je cherche la demeure du licencié don Tadeo, répondis-je, et, si je ne me trompe, c’est la maison devant laquelle nous sommes en ce moment.

— Ah ! Et qui vous a indiqué cette maison ?

— Tio Lucas, l’écrivain public. J’ai à consulter don Tadeo sur une affaire importante.

— Don Tadeo… eh ! c’est à lui-même que vous parlez.

Le costume de cet homme, dont je ne pouvais distinguer les traits,