Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/795

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

années, récite les graces à la table du gentilhomme, le clergymen obtenait un petit bénéfice. En prenant la cure, il se mariait. C’était ordinairement avec une servante de son patron. Une des choses qui peignent la mieux la condition des clergymen de campagne de cette époque, c’est la qualité de leurs mariages. Un membre de l’université d’Oxford se plainait, peu de mois après la mort de Charles II, que, dans les familles honorables, les mères fissent une leçon à leurs filles de ne pas encourager les hommages des prêtres de campagne : une jeune fille est déshonorée, disait-il, si elle oublie ce précepte. Long-temps après encore, Swift, prêtre lui-même, remarquait que, dans une grande maison, le chapelain était la ressource de la fille de chambre qui avait fait un faux pas, et par conséquent était forcée de ne plus prétendre à la main de l’intendant. Pauvre, subalterne, ignorant, le clergé de campagne était pourtant le vrai maître de l’opinion des populations agricoles. Or, c’était justement la portion du clergé la plus violente dans son torysme. Les membres éminens du clergé, ceux qui occupaient les hautes dignités de l’église, ceux que leur talent avait portés aux chaires des universités, ceux que leur éloquence avait conduits comme prédicateurs à Londres, inclinaient vers les doctrines libérales ou tempéraient du moins par des ménagemens politiques la rigueur de leurs opinions. Le clergé de campagne, au contraire, soutenait avec une fugue passionnée l’autorité de l’église et du roi. Dans toutes les conjonctures décisives, toutes les chaires de village vomissaient des anathèmes contre les whigs et contre les partisans du droit de résistance au prince ; tous les clergymen prêchaient le dogme du droit divin et le devoir de l’obéissance passive. L’effet de ces prédications était immense, car dans ce siècle la chaire était l’unique voix qui parlât aux multitudes.

Mais il y avait encore dans les campagnes une classe qui résistait ordinairement à l’action de la gentry et du clergé : c’était la yeomanry, La classe des petits propriétaires cultivateurs. Les statistiques du temps en évaluaient le nombre à cent soixante-dix mille, ce qui donnait, leurs familles comprises, le septième de la population totale. Les yeomen étaient à peu près tous favorables aux sectes dissidentes en religion et whigs en politique. Ils formaient avec Londres la force du parti de la résistance à la royauté.

Londres à lui seul, au XVIIe siècle, pouvait balancer tout le royaume. « Londres, dit M. Macaulay, avait alors sur le reste de l’Angleterre l’ascendant que nous avons vu de nos jours Paris exercer sur les destinées politiques de la France. » Cette grande ville était la capitale la plus vaste et la plus peuplée de l’Europe. Elle agglomérait sur une surface de quelques lieues le dixième de la population de l’Angleterre. Avec l’appui de Londres, un gouvernement pouvait trouver en un jour des ressources financières qu’il n’aurait pu recueillir en plusieurs mois