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et la tyrannie, quand on voit les objets du respect des hommes finir dans une chute outrageuse, et les améliorations saluées d’ardentes espérances mentir à toutes leurs promesses, on ne croit plus à la royauté ni à la république, à la tradition ni au progrès, on perd la foi aux idées, on s’abandonne au hasard des faits. Or, lorsque l’idéal s’éteint dans l’esprit, l’enthousiasme se dessèche dans le cœur, et le matérialisme envahit la conduite. Par l’instabilité qu’elles entretiennent, par la compression qu’elles exercent, les révolutions n’allument dans les sociétés qu’un âpre besoin de plaisirs sensuels et de rapides jouissances. La politique, dépouillée des vues qui l’ennoblissent, n’est plus qu’un jeu où l’on peut gagner le pouvoir ou perdre la vie. L’ambition séparé du dévouement et fondée sur le mépris des hommes n’est plus qu’un calcul adroit ou une brutale fureur. Le but, c’est de survivre à toutes les vicissitudes ; le moyen, c’est d’abjurer successivement tous les principes et de trahir au moment opportun toutes les causes. Voilà ce qu’on vit en Angleterre, à la suite de la guerre civile, de la république et du protectorat de Cromwell. Tous les hommes d’état de cette période subirent la flétrissante contagion de l’immoralité révolutionnaire. Deux seulement, ceux aux vues et aux volontés desquels toutes les ambitions et toutes les convoitises étaient suspendues, marchèrent résolûment et par le plus court chemin à leur but, bon ou mauvais ; ce furent Jacques II et Guillaume d’Orange.

Pour le bien ou pour le mal, Jacques II est une des figures les plus rebelles de l’histoire, une de celles qui offrent le moins de prise au portrait. Il avait l’esprit, le cœur, le caractère étroits ; point de saillies en vices ni en vertus. M. Macaulay fait plus que le peindre : il le fait penser, parler, agir, mais il ne garde pas son sang-froid devant un modèle si ingrat. Comme patriote, comme homme politique, comme artiste, M. Macaulay s’impatiente de la dureté d’esprit, de l’entêtement obtus et de la maussaderie continuelle de cet homme. Il y a des momens où M. Macaulay se met en colère contre lui et l’injurie au lieu de le juger. Nous qui n’avons pas autant de temps que M. Macaulay à passer avec Jacques II, nous pouvons être plus calme. M. Macaulay n’a pas tenu assez de compte de la fatalité qui a pesé sur le dernier Stuart ; il avait pourtant une vertu, et cette vertu lui a fait commettre ses fautes les plus funestes et l’a perdu. Cette vertu était une conscience scrupuleuse, rigide. Comme il avait l’esprit lent et faux, le cœur froid ; la volonté obstinée, cette conscience l’attacha, avec une ténacité que rien ne put vaincre, aux erreurs de son esprit. Les grands actes de sa vie témoignent de cette vertu. Duc d’York, frère du roi, il épousa la fille du chancelier Clarendon, Mlle Hyde ; pour déclarer un mariage aussi disproportionné avec sa naissance, qui eût pu être frappé de nullité, qui parut une dérogeance à tous les courtisans, il fallait être scrupuleux.