Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/81

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
75
PITT ET LES FINANCES ANGLAISES.

l’Angleterre et la France fût pour l’imitation de l’exemple que vous donnez, en rendant le prince et le peuple plus heureux par cette sage économie qui règle les besoins, anéantit le pillage et ne charge le sujet que du nécessaire par les voies les moins onéreuses. Vous avez trouvé le moyen d’établir ce système et de l’exercer même en temps de guerre. Je conserve l’édit auquel vous venez de donner lieu (l’édit pour la création de rentes en 1778) comme un monument précieux de ce que peut produire le génie. » Ces mots, qui révèlent une si noble et si généreuse émulation, font pressentir ce qui devait bientôt arriver en Angleterre sous le ministère de Pitt, dont le duc de Richmond lui-même devait être le collègue ; mais au moment où l’Angleterre allait imiter, suivant l’expression du ministre anglais, l’exemple que Necker avait donné, Necker cessait de diriger les finances de la France. Dans cette occasion, comme dans beaucoup d’autres, la France avait eu l’initiative du bien, mais elle n’avait pas su persévérer dans la voie qu’elle avait enseignée aux autres.

Après la retraite de Necker, le désordre qu’il avait un moment maîtrisé recommença de plus belle sous l’administration étourdie et présomptueuse de M. de Calonne. Les huit malheureuses années qui s’écoulèrent de 1781 à 1789 suffirent pour défaire tout ce qu’il avait fait. Non-seulement les 10 millions d’excédant annuel qu’il assurait avoir laissés disparurent, mais le fameux déficit de 100 millions se déclara. M. de Calonne fut destitué et exilé ; l’administration inintelligente de son successeur, M. de Brienne, ne fit qu’aggraver le mal. Necker fut rappelé, mais il échoua encore plus vite que la première fois. En 1781, il avait dû se retirer devant les exigences des courtisans ; en 1790, il fut emporté par la révolution. Dans l’un et l’autre cas, ce n’est pas l’homme qui manqua, c’est le point d’appui. Cette force immense que Pitt puisait dans l’adhésion nationale et qui le soutint dans tous ses embarras, Necker ne put jamais s’en prévaloir. À son premier ministère, les abus furent plus forts que lui ; au second, ce fut l’impatience des esprits qui ne lui permit pas de se maintenir. Avant la révolution de février, on aurait pu croire que la France de 1790 avait péché par défaut d’habitude, et que de pareils entraînemens ne se reproduiraient pas sous l’empire d’institutions constitutionnelle ; mais on a vu la France de 1848 tomber dans une faute encore plus grande et infiniment moins excusable que celle de 1790. Y a-t-il donc dans le caractère national un vice capital qui rende les meilleurs gouvernemens impuissans et faibles, et qui précipite fatalement le pays dans les révolutions ?

Léonce de Lavergne.