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et des feux de pelotons. Il n’y avait pas un cri, pas un chant révolutionnaire ; nul enthousiasme, nul éclair. Cette insurrection avait le caractère du métal en fusion : elle était brûlante et sans flamme.

J’avais trop vu le socialisme fonctionner à Paris ; c’était assez comme cela, même pour un amateur de réalités artistiques et de spectacles pittoresques. J’en avais assez de ces processions sans fin, de ces farandoles qui ne s’arrêtaient jamais, de ces étendards bariolés nommés bannières du travail, et de ces plantations d’arbres de la liberté. Le caractère comique de toutes ces folies, singulièrement intéressant et très curieux à observer, était maintenant couvert d’un crêpe ; la marotte du fou était transformée en poignard.

Je me mis en route, dans la ferme espérance de pouvoir enfin me reposer en province et y éviter le socialisme. Je fus complètement déçu. Dès mon arrivée, je retrouvai les mêmes hallucinations, les mêmes folies, le même amour du désastre et de la destruction. Il n’y avait que quelques nuances de moins. Les socialistes des provinces s’efforçaient, autant qu’il était en eux, d’imiter leurs frères de Paris. Ce qui donnait à leurs faits et gestes un caractère d’imitation très grotesque. Lorsque les socialistes de Paris sont simplement aliénés, les socialistes de province sont fous furieux ; lorsque les premiers sont emportés, les seconds sont violens. L’exagération et l’imitation les plus sottes sont le caractère distinctif des clubs socialistes de province, caractère qu’ils communiquent à leur auditoire. J’avais donc les mêmes spectacles qu’à Paris : des clubs, des attroupemens, des conversations politiques en plein air, des causeries sur les questions sociales au milieu des cafés ; bref, je retrouvais encore le tohu-bohu de Paris, moins la verve et l’esprit qui s’y font toujours remarquer, même dans les folies les plus sombres. Ajoutez que j’avais de moins cette singulière urbanité parisienne qui fait que les hommes les plus séparés d’opinions et les plus opposé de partis peuvent cependant causer ensemble dans le même salon. Je trouvai les habitans de la ville où je débarquai complètement divisés et pleins de haines irréconciliables. Je m’informai de plusieurs jeunes gens que j’avais connus jadis ; on me répondit que personne ne les voyait plus depuis qu’ils s’étaient avisés d’aller prêcher aux ouvriers des théories d’égalité illimitée et de droit au travail. D’un autre côté, toutes les fois qu’il m’arrivait de traverser les quartiers populaires, j’entendais grogner derrière moi et résonner sourdement les mots d’aristocrate, de bourgeois et de réactionnaire. O fruits du socialisme, que vous êtes doux, rien qu’au toucher ! Que serait-ce donc s’il fallait vous avaler !

Ennuyé et fatigué de courir pour éviter le socialisme et de le rencontrer toujours, je voulus aller droit au-devant, et je m’informai de la demeure d’un de mes anciens amis que j’avais connu très socialiste avant la révolution de février, afin d’engager une discussion avec lui