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ou un sacerdoce, comme vous voudrez et comme ils voudront. Moi qui ai été socialiste aussi, je ne m’étais jamais avisé de considérer une opinion comme une profession. O simplicité des gens naïfs, qui ne savent pas que flatter les passions et qu’aduler les désirs et les vanités de n’importe quelle classe de la société, c’est exercer la profession la plus lucrative de toutes ! En l’absence de grands seigneurs dont on puisse flatter les vices, être socialiste et démocrate enragé est le meilleur état qu’il soit possible d’embrasser, depuis celui des anciens valets de comédie. Pends-toi donc, Scapin.

« Vous savez que moi aussi j’ai passé par le socialisme. Il faut que je vous raconte les tribulations et les aventures de mon esprit durant cette époque. Je me suis débarrassé de ces doctrines, et j’en remercie Dieu, car il est plus que probable qu’aujourd’hui je rédigerais d’absurdes proclamations et des discours plus pitoyables encore. Je suis renégat, je l’avoue, et j’en suis bien aise, car sans cela je me serais arrangé un rôle, et c’eût été une raison pour ne plus arriver à repentance. Beaucoup n’en conviennent pas, et c’est pourtant cette sotte vanité qui empêche une foule de gens de rejeter par derrière eux le sot vêtement dans lequel ils se sont drapés par fatuité ou par cynisme. J’ai connu un homme qui avait voulu se marier avec sa servante et qui ne mit jamais ce projet à exécution par cette raison bizarre, qu’une fois marié, on ne pourrait plus l’accuser de concubinage comme on avait fait jusqu’alors. Ainsi de beaucoup de gens : ils aiment que le monde les voie toujours persistant dans la même méthode, fût-elle absurde : c’est, à proprement parler, ce qui constitue le cynisme, qui n’est pas l’orgueil, mais bien plutôt une nuance grossière de la vanité, qui a toujours peur que le premier jugement une fois effacé, le monde ne puisse plus s’en former un autre sur votre compte. Les sots craignent toujours qu’on ne s’occupe d’eux d’une autre façon qu’on n’avait fait la veille, et cela pour une raison digne de M. de Lapalisse, mais qui n’en est pas moins vraie : c’est que les gens d’esprit savent seuls parer immédiatement à toutes les éventualités et à tous les accidens. Ainsi encore de beaucoup de malheureux jeunes gens qui, s’étant d’abord donné l’air d’être très avancés, vont toujours plus avant dans l’absurde par dépit, après avoir commencé à s’y diriger par vanité. Je ne crains pas de dire que telle est la source générale des doctrines subversives. On se met en opposition avec la société par gentillesse et par air de génie, alors qu’on ne connaît ni la vie ni ses exigences, et lorsqu’on arrive à les connaître, on persévère dans cette voie par irritation et par regret. J’ai vu cette déplorable maladie exercer ses ravages sur plus d’un jeune esprit. Quand on est jeune, on se fait socialiste peut-être à cause de telle sensualité qu’on a désirée et qui n’était pas à votre portée ; plus tard, on demeure