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LE SOCIALISME ET LES SOCIALISTES EN PROVINCE.

prie de ne venir vous voir qu’à telle heure à cause des occupations de la journée. À telle heure, on vaque à ses affaires ; à telle heure, on va dîner ; à telle heure, on va chez ses amis ou chez sa maîtresse. C’est le bon moment pour devenir phalanstérien. Dans le phalanstère, on fait tout à heure fixe, on change d’occupations attrayantes à un moment donné, qu’on soit ou non ennuyé du même plaisir. Aussi, parmi les phalanstériens que j’ai rencontrés dans la vie, je n’ai jamais trouvé que des clercs, des commis, des employés, quelques capitaines d’artillerie et officiers du génie, enfin des hommes-horloges. Le phalanstère est fait pour plaire à ces hommes méthodiques qui arrangent leur vie d’après les modèles des cadres en activité de service, et la règlent comme une montre ; mais je crois qu’il ne peut plaire à aucun autre. Aussi j’en fus bientôt dégoûté. Les plaisirs du phalanstère me semblent assez matériels et assez maussades. Ils ont en eux quelque chose de grossier et d’impudique qui repousse. N’y cherchez pas cette métaphysique du plaisir qu’enseigne le saint-simonisme. Nous avons là, au lieu de la métaphysique du plaisir, l’anatomie des joies de la chair, l’énumération et la classification des plaisirs, l’indication de leurs nuances, l’hygiène à suivre pour les différens tempéramens. C’est une suite de gravures obscènes, un index, un manuel de baccalauréat ès-voluptés. Bref, le fouriérisme, c’est le matérialisme et non le sensualisme. Pour comprendre ce que signifie le saint-simonisme, il faut avoir une certaine ame, une certaine fleur du sang ; il n’en est pas besoin pour comprendre le fouriérisme. Cette doctrine est toute mécanique ; elle n’a en elle aucune circulation, elle n’accomplit que des fonctions digestives. Fourier est un homme de génie qui a passé sa vie à étudier les mauvais recoins du cœur humain, et un homme de bien qui a eu des imaginations honteuses. Jamais homme doué d’imagination et d’esprit d’observation n’a écrit autant de sottises. Tous les plaisirs du phalanstère consistent à dîner sur l’herbe et à faire l’amour en plein air. C’est triste, et c’est vulgaire. J’abandonnai bien vite cette doctrine absurde, inventée par un homme qui valait mieux que ses édits, et surtout que ses disciples, car je ne crois pas qu’il y ait sous la coupole du ciel un être plus niaisement excentrique qu’un phalanstérien. Si vous en avez connu quelques-uns, vous devez savoir à quoi vous en tenir.

« Je n’ai jamais donné dans les doctrines nauséabondes du communisme. Le moindre tort du communisme, à mes yeux, c’est d’être stupide. Son plus grand crime, son crime irrémissible, c’est qu’il est impossible de se remuer dans la société qu’il décrit. Une humanité tout entière entassée, une solidarité qui vous lie bras et jambes, ou plutôt qui vous soude à votre voisin de manière à ne pouvoir faire un pas sans lui, voilà le communisme. Vous savez l’histoire de ces deux jumeaux inséparablement unis par des liens de chair ; eh bien ! la solidarité