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LE SOCIALISME ET LES SOCIALISTES EN PROVINCE.

des campagnes, qui se fonde sur la restitution du milliard des émigrés et la confiscation des grandes propriétés foncières C’est ce qui prouve le mieux que le socialisme n’est pas un système, mais une machine de guerre. La vérité est une ! disent cependant ces messieurs ; mais les socialistes ont bien compris qu’ils ne feraient jamais entrer leurs doctrines dans la tête des paysans. Il a donc fallu s’y prendre autrement. Heureusement le mal n’est pas aussi grand qu’on le croit, et en faisant un compte à peu prés exact, le bien l’emporte encore sur le mal. C’est ce que nous allons essayer de montrer par la comparaison des qualités naturelles du paysan et des moyens qu’il a fallu employer pour l’entraîner.

C’est surtout aux paysans des départemens du centre que s’appliquent ces observations. C’est là que le socialisme a fait le plus de progrès. C’est aussi dans ces départemens que les paysans sont le plus ignorans, bien qu’un très grand nombre soient propriétaires. Il était impossible de leur infuser l’esprit révolutionnaire, ils ignorent complètement ce que cela est. On se figure très mal quelles sont les quelques connaissances historiques conservées par les traditions de nos paysans. Quelques souvenirs des temps féodaux parsemés çà et là et en très petit nombre, voilà l’élément tragique de ces tradition mais en revanche, si vous écoutez leurs contes, leurs récits, leurs plaisanteries, leurs chansons, vous trouverez que tout cela a sa source dans la dernière période du moyen-âge et dans le commencement des temps modernes. Tout cela est empreint d’esprit ironique, sceptique à l’endroit des chefs temporels et spirituels de cette époque. Ils n’ont pas fait un pas depuis le commencement du XVe siècle, au moins sous le rapport intellectuel ; il n’y a absolument rien de gracieux, de poétique chez eux, comme dans les autres pays de l’Europe, ou même comme dans le midi de la France ; tout dans ces récits et ces chansons roule sur les aventures du paysan mis en contact avec les grands de ce monde, sur M. le curé et sa chambrière, et sur les méthodes au moyen desquelles un paysan parvient à tromper, à force de finesse, un maître, injuste et tyrannique, tout en conservant très scrupuleusement les clauses du contrat qu’ils avaient passé ensemble. Ils ont des proverbes rimés qui n’expriment rien de bien philosophique, mais qui sont comme une sorte d’almanach du bonhomme Richard mis en vers patois, et qui rappellent en même temps les productions sceptiques et empreintes de sagesse humaine de la fin du moyen-âge. Nos paysans du centre en sont complètement encore, dans leurs récits de veillée et dans leur développement intellectuel et moral, à cette époque qui produisit le roman du Renard et Till Eulenspiegel. Les Jérémies de notre temps vont répétant partout que l’esprit voltairien a envahi nos campagnes ; il n’y a rien de plus faux. Les paysans du centre n’ont absolument