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LA FIN DE LA GUERRE DE HONGRIE.

ne pouvait plus se relever. Le gros de l’armée, exténué de fatigues, de marches forcées, de défaites quotidiennes, démoralisé malgré l’âpre courage de ses généraux, ne soutenait plus qu’avec ennui une lutte sans espoir. Quand Georgey a fait sa soumission, ses soldats mouraient de faim. Il pouvait sans doute s’offrir avec eux en holocauste et terminer la guerre la plus sanglante de ce temps-ci par un immense massacre où toute son armée eût péri, il pouvait ajouter ce grand désastre à tout le sang déjà versé et à toutes les ruines dont la Hongrie est couverte ; mais ce n’est pas la Hongrie qui peut lui reprocher de n’avoir pas sacrifié inutilement la fleur de sa population : elle a été décimée ; c’est assez pour la satisfaction du patriotisme le plus ardent. Georgey a dû céder par impuissance, il a pu céder sans déshonneur, et le mieux eût encore été de céder plus tôt, de ne pas commencer une guerre qui, outre l’inconvénient d’aboutir à la ruine de la race magyare, avait celui de mettre l’Autriche avec la Hongrie à la discrétion des Russes.

« La Hongrie est aux pieds de votre majesté, » écrivait le maréchal Paskéwicz au czar en lui annonçant la soumission de Georgey. Cette parole officielle apprend mieux que tous les raisonnemens de quel poids la Russie pèse aujourd’hui sur les destinées de l’Autriche. On assure que Georgey lui-même aurait invoqué la faveur de la Russie plutôt que de s’en reposer sur l’indulgence de l’Autriche. Nous croyons à l’honneur de Georgey comme à sa bravoure : ce n’est point à son âge que l’on conçoit les trames perfides et que l’on exécute les trahisons ; mais son âge comporte les résolutions irréfléchies : nous ne serions point surpris qu’il eût en effet obéi à un sentiment de puérile rancune contre l’Autriche en dérobant au général Haynau la gloire pourtant méritée de recevoir la soumission de l’armée magyare. Il se peut que Georgey, dans un entraînement de passion, ait voulu exalter l’armée russe aux dépens de l’armée autrichienne et surfaire son propre mérite en rehaussant celui des Cosaques qui l’avaient battu. C’est un enfantillage dont nous croyons le général Georgey capable.

Nous oserons l’en blâmer pour deux raisons. L’armée austro-croate n’est-elle pas au bout du compte celle qui a le plus payé de sa personne même dans la dernière campagne ; soit sous les ordres de Haynau et de Schlik, soit sous les trois chefs slaves Jellachich, Knitchanine et Albert Nugent ? Le vainqueur d’Érivan n’a rien ajouté à sa renommée déjà un peu ancienne ; Luders, Grabbe, Rudiger n’ont remporté que des avantages sans beaucoup d’éclat, mêlés d’ailleurs de quelques revers. Ce sont les derniers combats livrés sur la rive gauche de la Theiss par l’armée austro-croate qui ont amené la désorganisation des troupes hongroises auxquelles Georgey comptait se réunir pour se reconstituer sous les murs d’Arad. C’est donc Haynau qui a frappé le coup décisif et rendu nécessaire la soumission des Magyars ; c’est lui qui avait le droit de l’attendre. Nous ne voyons pas la satisfaction sérieuse que l’amour-propre de Georgey peut trouver à humilier l’Autriche au profit de la Russie.

Il est d’ailleurs une autre considération qui imposait au général magyar plus d’éloignement pour les Russes. Les Magyars ont eu des alliés dans cette guerre ; ces alliés peuvent revendiquer le mérite, si c’est là un fait dont on puisse être fier, d’avoir organisé la résistance en Hongrie et formé une armée qui, avant leur venue, n’était pas capable de soutenir le choc de cinquante mille hommes.