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Le Marquis.

Je dirais que l’infidélité d’une femme peut avoir pour la famille, pour la société, des conséquences désastreuses que n’a point celle d’un mari… Je ne veux pas voir ce côté positif de la question… Je l’envisage à un point de vue plus digne de nous deux… Mais encore cela est-il très délicat à dire, et je vous demanderai de me deviner beaucoup plus que de me comprendre.

La Marquise.

Je crois, en effet, que cela ne me paraîtra pas clair.

Le Marquis.

Peut-être. Croyez-vous, madame, qu’une femme de quelque valeur, bien entendu, je ne parle que de celles-là, qu’une femme puisse avoir un amour, en dehors de son ménage, sans s’y donner tout entière et sans être coupable de trahison à tous les chefs envers son mari ? Un homme, mon Dieu ! un homme dépensera, dans une intrigue passagère, un peu d’esprit, s’il en a, et ce sera tout…

La Marquise.

Et s’il n’en a pas ?

Le Marquis.

Mais une femme ne se donne pas pour si peu ; je le dis à votre honneur, à l’honneur de votre sexe, vous ne sauriez avoir un amour sans y placer toute votre ame, tout votre être, sans passer à l’ennemi corps et bien : quand nous ne faisons que détourner quelques-uns de nos loisirs de l’existence conjugale, vous la désertez tout-à-fait ; vous vous créez une vie nouvelle et complète à côté de celle que vous aviez promis de vivre pour nous. Nos erreurs sont des manques d’égards qui peuvent causer un moment de désordre dans le ménage ; les vôtres sont une ruine absolue et irrémédiable… C’est pourquoi la peine du talion ne me semble pas applicable en pareille matière. Du reste, il est possible que je m’explique mal, ou que vous n’ayez pas toute l’impartialité nécessaire pour prononcer dans cette cause, quoique. Dieu merci, elle ne concerne ni vous, ni moi.

La Marquise.

Avez-vous fini ? Eh bien ! c’est ce que je disais : quand vous nous trompez, vous êtes des espiègles qui méritez le fouet, et quand nous vous trompons, nous méritons la question ordinaire et extraordinaire. C’est plein d’équité et de galanterie. Bonsoir ; allez à votre cercle : il est neuf heures.

Le Marquis.

Remarquez, ma chère, que vous me mettez à la porte.

La Marquise.

Cela vous arrange assez, j’imagine. Moi de même. Bonsoir.

Le Marquis, lui baisant la main.

Songez un peu à mes théories ; vous verrez qu’il y a du vrai.

La Marquise.

Vous auriez tort cependant d’en venir à la pratique, je vous jure.