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ne voulons être trop sévères pour un pays neuf, exposé à tous les tâtonnemens de l’inexpérience et trop souvent tourmenté par les intrigues étrangères, auxquelles il a le tort de fournir lui-même des alimens. Nous ne lui reprocherons donc pas l’emploi qu’il a fait de son temps ; nous dirons seulement que, sans argent, sans armée, sans influence, sans aucun appui extérieur, la Grèce ne saurait aborder sensément l’idée d’une lutte nouvelle avec la Turquie. Quand le Piémont, sous la conduite d’un roi chevaleresque, s’est précipité dans les aventures, il avait un trésor bien garni, et sinon une excellente armée, du moins d’excellens cadres : armée et trésor ont disparu, et des réalités poignantes ont succédé aux illusions de l’an dernier.

La même loi régit les individus et les peuples ; l’ambition ne convient qu’aux forts, et elle ne leur réussit pas toujours ; ce n’est que par leur sagesse que les faibles vivent, résistent et se fortifient. Ce principe, oublié à Turin, sera-t-il méconnu, à Athènes ? Cette escouade révolutionnaire qui a perdu l’avenir que les circonstances semblaient réserver à l’Italie compromettra-t-elle aussi, et plus sérieusement encore, les destinées de la Grèce ? Nous aimons à espérer qu’il n’en sera rien, mais nous n’hésitons pas, dès l’abord, à dire la vérité à une nation que nous aimons, et que nous ne verrions pas, sans une profonde douleur, s’égarer dans les voies au bout desquelles elle rencontrerait un abîme. Nous n’aurons donc que des paroles sévères pour le discours d’un député de Vostitzza, M. Cléomènes, qui a vu dans quelques mesures prises par la Porte à l’égard des Grecs établis sur son territoire une raison suffisante de faire entendre du haut de la tribune un cri de guerre contre la Turquie. Disons avant tout un mot de l’orateur. M. Cléomènes, l’un des meneurs de la chambre, est encore aujourd’hui sous le poids d’une accusation d’assassinat, pour laquelle son complice a été exécuté à Athènes il y il plusieurs années. C’est ce même homme, dont les journaux ne prononçaient jamais le nom sans l’accompagner impunément des plus injurieuses épithètes, qui s’est fait depuis quelques mois l’ardent champion du patriotisme hellénique. Des discours plus emphatiques qu’éloquens, et un journal écrit dans un style passionné et plein d’images, lui ont valu, parmi la classe oisive qui fréquente les cafés d’Athènes, une popularité embarrassante pour le gouvernement, qui a eu non-seulement la faiblesse de suspendre à son égard l’action de la loi, mais qui, sous le ministère de M. Coletti, lui a ouvert l’accès du parlement en l’imposant au choix des électeurs de Vostitzza. Les déclamations de M. Cléomènes ont été écoutées avec faveur par un auditoire qui ne comprenait pas sans doute la portée de ses applaudissemens ; des fleurs et des couronnes lui ont été jetées des tribunes publiques, et l’émotion a été assez grande en ville pour que le roi ait dû abréger une course qu’il faisait dans les îles de l’Archipel. Le ministère a gardé devant la chambre, pendant cette discussion imprudente, une attitude équivoque et timide, qui a vivement blessé Osman-Effendi, le représentant de la Porte. Les membres importans du cabinet sont divisés, et craignent, au moment où le pouvoir semble à la veille d’échapper à leurs mains débiles, de compromettre le peu de popularité qui leur reste. La chambre élective, hors d’état aujourd’hui de tirer de son sein une administration acceptable pour le roi et le pays, ne sait qu’entraver la marche des affaires, et ce n’est qu’après dix mois de session qu’elle vient enfin de voter le budget de l’année courante. Le sénat ne