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personnages, et souvent le récit s’attarde dans une paraphrase du dogme. Toutefois, la sincérité respire à chaque page du romancier, et donne à ses peintures un charme particulier qui ne peut guère manquer de gagner la sympathie.


— L’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres a tenu sa séance annuelle le 17 de ce mois, sous la présidence de M. Magnin. Plusieurs lectures y ont été faites ; mais l’honneur de cette séance revient tout entier à M. Naudet. L’honorable académicien a lu sur le Prêt à intérêt chez les Romains un mémoire non-seulement excellent comme érudition et comme science, mais encore plein d’à-propos. Les traits contre les théories financières du socialisme y abondent, et surtout contre la théorie du crédit gratuit et réciproque. Il est curieux de retrouver, sous la république romaine, les fameuses théories de M. Proudhon sur la gratuité du crédit et des services, dans les lois émanées de l’initiative des tribuns du peuple. On voit que l’espèce n’a pas changé. Nous croyons faire plaisir à nos lecteurs en mettant sous leurs yeux ces pages où l’érudition s’est dévouée autant qu’il était en elle au service et à la défense de la société.

Dans l’histoire du prêt à intérêt chez les Romains, l’époque de la succession de l’empire à la république marque le passage de l’état de guerre au régime d’ordre et de paix entre les débiteurs et les créanciers. Jusque-là du conflit de leurs prétentions exorbitantes, cupidité impitoyable d’une part, ingratitude frauduleuse de l’autre, ici des hommes d’argent rançonnant à merci les nécessiteux, là des emprunteurs ne songeant qu’à secouer la contrainte des obligations solennellement consenties, il ne pouvait résulter qu’injustice et que violence : et le désespoir de cette situation, c’est que le mal venait de la source même où l’on aurait dû puiser le remède, je veux dire le pouvoir judiciaire, troublé, compromis, fourvoyé par un conflit toujours imminent entre le droit et l’équité, entre la jurisprudence d’usage et la jurisprudence de légalité.

Trop prompts à subir individuellement les conditions les plus dures dans les transactions privées, les emprunteurs devenaient tyranniques, intraitables, quand ils étaient assemblés en comices pour faire des plébiscites contre les gens qui prêtaient, et, de réforme en réforme, d’améliorations en améliorations, on en vint un jour à l’interdiction absolue du trafic de l’argent, sous la sanction d’une répression plus sévère que pour le vol. On oubliait de décréter en même temps qu’il n’y aurait plus personne désormais qui eût besoin d’emprunter, où qu’il y aurait toujours des prêteurs désintéressés. Ce fut l’an 414 de Rome que le tribun Genucius fit cette merveille.

Mais, comme toutes les lois excessives, contraires à la nature des choses et aux nécessités sociales, la loi Genucia souffrit sans cesse des infractions la plupart du temps impunies. Quelques jeunes édiles, pour se signaler eux-mêmes, autant et plus peut-être que pour défendre un principe de droit, accusèrent plusieurs fois au tribunal du peuple et firent condamner à de grosses amendes des capitalistes pris en contravention. Cependant la loi, sans être formellement abrogée, avait fini par tomber dans un profond oubli, lorsque, après plus d’un siècle de sommeil, elle causa en se réveillant une sanglante tragédie.

L’an 665, des débiteurs qui ne voulaient pas payer, poursuivis par des créanciers trop pressans, se retournèrent contre eux en s’armant de l’ancien plébiscite. Le préteur de la ville, Sempronius Asellio, ne savait auquel entendre, et