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ne voulait mécontenter personne. Comme les malheureux honnêtes gens sans caractère, qui flottent entre deux partis, au lieu de prendre cette ferme assiette par laquelle on se maintient égal entre tous avec indépendance, et l’on maintient les autres avec soi dans l’équilibre du droit et de la raison, il permit d’intenter des procès, tantôt selon la coutume qui tolérait l’intérêt de l’argent prêté, tantôt selon la loi qui le prohibait. Les créanciers l’égorgèrent au milieu de la place publique, pendant une cérémonie religieuse.

Désormais les magistrats se le tinrent pour dit, et il n’y en eut plus un seul assez osé pour s’élever à l’encontre de gens qui avaient en main de si forts argumens. Les choses reprirent leur cours ordinaire : silence d’une législation surannée, acquiescement de la juridiction au commerce de l’argent, le fait continuant à prévaloir, et la loi restant suspendue en l’air comme une menace.

Un sénatus-consulte de l’an 701 vint compliquer encore des circonstances si embarrassées, en permettant l’intérêt de 12 pour 100, quoiqu’un sénatus-consulte n’eût point la vertu d’abolir un plébiscite.

Il ne faut pas croire que ce taux énorme fût la règle usuelle des contrats ; il y aurait eu trop de gens ruinés en peu de temps. De fait, la proportion de l’abondance des capitaux avec les besoins de la place restait modératrice de l’usure. Ainsi l’on avait vu, Cicéron nous l’apprend, le prix de l’argent monter soudain de 4 à 8 pour 100 à l’approche d’une élection. C’est qu’en de pareilles occasions l’argent était fort recherché. Les suffrages ne se donnaient pas pour rien, et il y avait un si grand nombre d’électeurs à persuader !

Quatre ans après le sénatus-consulte, César entrait à Rome par l’effet d’une révolution populaire, et la révolution populaire le faisait dictateur.

Les tempêtes du Forum et les guerres civiles avaient grandement dérangé les affaires privées, comme celles de l’état. Il régnait un malaise profond dans Rome et dans l’Italie. Des milliers de voix, celles qui se faisaient entendre le plus haut en ce moment, n’avaient qu’un cri, l’abolition des dettes, en d’autres termes, l’autorisation de faire banqueroute.

Le dictateur essaya de composer ; il ordonna de faire l’estimation des biens fonds selon la valeur qu’ils avaient eue avant la guerre, et les créanciers les recevraient à ce prix, en retranchant au préalable de la totalité de chaque dette les sommes payées ou promises à titre d’intérêts depuis des années ; le quart de la créance y périssait. C’était faire revivre l’ancien plébiscite contre le prêt lucratif, moins la peine qui assimilait l’usurier au voleur.

On a jugé diversement cet acte dictatorial. Quelques-uns l’ont regardé comme une sage conciliation dans un procès épineux et terrible. D’autres l’ont blâmé comme une mesure arbitraire, tyrannique, rétroactive, par conséquent dangereuse. Annuler des transactions souscrites de part et d’autre volontairement, conformément soit aux lois en vigueur, soit à la jurisprudence reçue, imposer de force des conditions différentes, qu’on n’avait pas dû prévoir, qu’on n’a pas en la liberté de refuser ou d’accepter, c’est le moindre mal de la rétroactivité. Elle peut avoir quelquefois de très bonnes intentions, mais elle blesse tout le monde, ceux mêmes qu’elle veut soulager ; elle sacrifie l’avenir au présent.

Il est évident que César ne légiférait point de sa pleine et libre volonté. Sa toute-puissance obéissait aux nécessités du principe d’où elle était sortie. Née de la violence, elle était violente. Une invasion militaire avait poussé le vain-