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queur dans Rome à la suite d’une réaction tribunitienne. Il chassait devant lui l’élève de Sylla, et il venait succéder à Marius. La multitude dominait.

Il fallait contenter ses anciens et ses nouveaux amis, dévoués à sa fortune, au moins autant qu’à lui-même. Il força les portes du trésor public, et il secourut les débiteurs aux dépens des créanciers.

Ce sont des hommes pour qui d’ordinaire on se sent très peu de sympathie que les trafiquans d’argent ; mais il serait bon aussi, non pas par considération pour eux, mais dans l’intérêt de tout le monde, qu’on ne fût pas trop disposé, en représailles de leurs duretés et de leurs méchantes ruses, à les dépouiller arbitrairement. Il y aurait moins de mal encore à les laisser détenteurs de biens injustement acquis qu’à répandre l’opinion que ceux qui tiennent le commandement peuvent, un beau jour, se donner le droit d’enlever aux gens ce qu’ils possèdent, sous prétexte de redresser leurs torts.

À Rome en particulier, les débiteurs n’étaient pas tous, il s’en fallait bien, de malheureux propriétaires, cultivateurs ou artisans, ruinés par des accidens imprévus, par des crises commerciales. C’étaient, pour la plupart, des oisifs, qui, après avoir mangé leur patrimoine, ou à bout de fainéantise intrigante, achetaient sans payer, ou empruntaient pour dépenser. On rencontrait à tous les degrés de la société romaine des hommes de plaisir, dont la première et la dernière ressource était l’emprunt, l’emprunt dévorant, parce que l’usure croissait pour eux en raison de leur discrédit, et qu’il n’y avait point d’usure qui effrayât l’urgence de leurs besoins et la fureur de leurs passions. Eussent-ils d’ailleurs été plus dignes de pitié, jamais gouvernement ne fit renaître la prospérité en dépouillant les uns pour donner aux autres et en mettant à néant les contrats.

Le pouvoir qui fait la loi dispensera bien les débiteurs de leurs obligations, mais ce qu’il ne saurait faire, c’est que la foi du commerce n’ait pas été violée, et que le crédit ne s’en trouble et n’en souffre, et la fortune publique avec lui. Les maladies du crédit ne se traitent pas par des moyens violens. Il est facile de le tuer, impossible de le contraindre. C’est une nature délicate et farouche, timide autant qu’aventureuse, qui meurt d’une atteinte, d’une alarme ; et ensuite, pour qu’il renaisse, il faut des miracles de patience et d’habileté, et les gens qui font des miracles sont si rares ! presque autant que ceux qui en promettent sont communs.

Les abus de pouvoir engendrent toujours après eux d’autres abus ; c’est une propagation fatale. Après l’édit de César, on se plaignit que les riches cachaient leur argent. César fuit obligé de faire encore défense d’avoir chez soi plus de soixante mille sesterces (environ onze mille francs) en or ou en argent. À peine le nouvel édit eut-il paru, qu’on poussa au Forum des cris de joie, et, au milieu de ces cris, on demanda des récompenses pour les esclaves qui dénonceraient leurs maîtres. Les gouvernans qui se mêlent d’accommoder les affaires privées devraient toujours bien considérer, outre l’application immédiate, les effets ultérieurs de leurs ordonnances sur les mœurs publiques.

On aurait pu croire que l’expérience de César serait la dernière réminiscence des plébiscites contre le prêt à intérêt. Tibère, qui n’affectait pas autant que lui la popularité, renouvela néanmoins sa loi pour les arrangemens entre les créanciers et les débiteurs. Il s’ensuivit une confusion énorme, une effroyable multiplication de débats et de plaintes.