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Mais ce n’est pas, nous nous empressons de le dire, la seule dépense qui ne fût pas couverte par les recettes ordinaires : 441,752,000 francs représentent la dépense des travaux publics extraordinaires exécutés dans les derniers temps de la monarchie. Hâtons-nous de dire aussi que des ressources spéciales, créées en dehors des recettes ordinaires, étaient assurées et réalisées en partie dans les caisses du trésor pour acquitter cette dépense. Personne ne prétendra certainement que ces vastes entreprises, qui développent pour des siècles l’activité, la richesse et même la puissance d’un grand peuple, puissent se paver, chaque année, sur les excédans des recettes ordinaires. Personne ne prétendra que ces grands ouvrages que le présent lègue à l’avenir doivent rester tout entiers à la charge des générations qui les exécutent, et passer comme un patrimoine gratuit aux générations qui doivent en jouir. Les peuples du moyen-âge, qui ne connaissaient que la richesse présente et qui n’avaient ni la science ni la possibilité même du crédit, élevaient, à force de temps et assise par assise, ces admirables monumens qu’un siècle voyait commencer et qu’un autre siècle voyait finir ; mais nos travaux, consacrés aux besoins impérieux du commerce et de l’industrie, n’admettent pas cette longue temporisation, et chaque jour perdu pour leur achèvement est un jour dérobé à leur utilité. L’emploi du crédit, qui associe les générations contemporaines avec leur postérité, peut seul réaliser ces deux conditions essentielles : la rapidité dans l’exécution des travaux, et l’égalité dans la répartition de la dépense. Une nation qui emprunte pour ses besoins périodiques et permanens trouve dans chaque emprunt la nécessité d’un emprunt nouveau, et elle est entraînée par son crédit même sur le penchant de sa ruine. Une nation qui supporte sans peine, à l’aide de ses revenus, non-seulement toutes ses charges accoutumées, mais même tous les incidens imprévus dont se compose la vie d’un grand empire, cette nation peut emprunter sans péril pour exécuter des travaux qui rapportent plus encore qu’ils ne coûtent ; elle augmente sa richesse au lieu de la compromettre et son crédit la pousse sur la voie de la prospérité.

C’est donc une grave erreur et un reproche injuste de dire que le dernier gouvernement, dans les huit dernières années de son existence, s’était irrévocablement engagé dans la voie des déficits, lorsqu’il est manifeste qu’il n’a fait appel au crédit que pour des dépenses extraordinaires et productives. Qu’on lui reproche le choix, l’exagération, le système de ses travaux, qu’on lui dise, en un mot, qu’il a trop fait et qu’il a mal fait, c’est tout simple : toutes ces objections ne lui ont pas été épargnées, et nous n’entendons pas en éluder l’examen ; mais du moins qu’il soit reconnu, dès ce moment même, qu’il a usé légitimement du crédit, et qu’il ne serait répréhensible que s’il en avait abusé.