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agitatrice ; mais des sources du revenu public ne se rouvrent plus quand elles ont été long-temps fermées, et les impôts long-temps supprimés sont aussi difficiles à rétablir qu’à remplacer. Une croisade contre les impôts avait été entreprise sous la monarchie ; elle a été victorieuse sous la république. La guerre à l’impôt était déjà, dans des collèges électoraux peu nombreux, un lieu commun de corruption électorale ; c’est un lieu commun dont le suffrage universel n’a pas sans doute compromis le succès. Il est si populaire et si facile de faire la guerre à l’impôt ! Qui ne croit s’enrichir par la réduction des taxes ? Qui ne s’occupe de son revenu beaucoup plus que des recettes publiques ? Qui se souvient qu’un état qui perd ses recettes perd son crédit et sa puissance, et qu’une étroite alliance unit la prospérité de chacun à la prospérité de tous ? Hélas ! nous ressemblons tous un peu au sauvage dont parle Montesquieu, et, pur peu que la faim nous presse, nous voudrions couper l’arbre au pied et cueillir le fruit. Et plus quel est l’impôt qui n’a pas d’inconvéniens, qui ne gêne pas un peu soit la production, soit la circulation, soit la consommation des denrées ou des marchandises ? Quel est l’impôt irréprochable dans son assiette ou dans sa perception ? L’imperfection est le péché originel des institutions humaines ; c’est notre force de l’apercevoir, c’est notre faiblesse de ne pouvoir y porter remède. Ne voudrons-nous donc jamais nous résigner à des impôts imparfaits et à des lois imparfaites ?

La guerre à l’impôt a été une guerre, savante, pleine de surprises et de stratagèmes. On s’est bien gardé d’attaquer de front le revenu public ; on lui a dressé des embûches. On ne voulait pas, disait-on, diminuer les recettes de l’état, on voulait les mieux organiser et même les accroître. Cette taxe est trop élevée ; diminuez-la des deux tiers, et vous triplerez la consommation de la marchandise taxée. Telle autre taxe est juste au fond, mais elle est mal établie ; gardez le fond et changez la forme. On disait encore : Cet impôt est injuste, il frappe inégalement les contribuables ; sans doute l’état a besoin du produit, mais que lui importe l’impôt qui le lui donne ? Abolissons cet impôt, vous le remplacerez par un autre. On disait enfin : Les dépenses sont excessives, nul doute qu’on ne puisse les réduire ; escomptons la réduction future des dépenses par la diminution actuelle des impôts. Et au milieu de tous ces novateurs, les novateurs de la dernière heure, ceux qui savent que la question de propriété peut être habilement impliquée dans la question d’impôt, criaient bien haut : Réforme ! et disaient tout bas : Révolution !

Voilà les sophismes coalisés contre le revenu public. Quelques-uns ont déjà réussi. Quel a été le fruit de leur victoire ? Prenons la réduction de l’impôt du sel pour exemple. Que ne nous promettaient pas ceux qui ont cherché dans cette réduction une popularité fatale à nos finances !