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législation de la Gallicie était telle que, dans un temps donné, la guerre sociale y était inévitable[1].

À l’époque où éclatait la révolution de Vienne, deux ans après cette guerre, la question sociale était donc posée en Gallicie dans son affreuse et saisissante vérité. D’un côté, des multitudes égarées, encore tout émues du parricide qu’elles venaient de commettre sans en bien comprendre le sens et la portée ; de l’autre côté, une noblesse encore en deuil de tant de funérailles, à peine rentrée sous le toit de ses châteaux visités récemment par le fer et le feu, ruinée d’ailleurs dans sa fortune par l’impossibilité de se procurer, même au plus haut prix, des bras pour remplacer sur ses terres le travail gratuit de la corvée ; enfin, entre les deux classes, le gouvernement incertain ; effrayé lui-même de l’incendie attisé par ses mains, qui menaçait de se répandre, par la Bohème et la Transylvanie, à travers le reste de l’empire : tel était alors l’aspect affligeant de la Gallicie

À peine L. de Metternich est-il renversé, qu’une députation de la noblesse accourt à Vienne pour appeler l’attention de l’empereur sur l’état de la province. La noblesse avait hâte de sortir d’incertitude ; elle sollicitait de l’empereur l’autorisation de libérer les paysans de toute corvée par une mesure générale et irrévocable Sans doute on n’ignorait plus à Vienne que l’heure était venue d’en finir avec le système féodal : on était, sur l’urgence d’une réforme, de l’avis de la noblesse polonaise ; mais, si la noblesse tenait à l’initiative, l’Autriche avait aussi ses raisons de ne point s’en laisser dérober le mérite. Comment livrer gratuitement aux propriétaires cette magnifique occasion d’offrir aux paysans un gage de réconciliation politique, lorsque soi-même on en pouvait tirer un si bon parti ? Avant que la députation de la noblesse eût reçu la réponse qu’elle venait chercher, un ordre impérial, publié en Gallicie, annonça aux paysans que l’empereur les dégageait pour l’avenir de toute corvée. Le bienfaiteur, c’était donc le gouvernement ; la noblesse était ruinée sans cette compensation morale dont l’espoir l’avait aidée dans ce complet sacrifice de sa fortune.

Cependant, l’impression des événemens de 1846 une fois dissipée et la noblesse déchargée de fonctions administratives qui la rendaient odieuse, le paysan gallicien, par l’impulsion de la nature, devait tendre à se rapprocher des hommes éclairés qui parlaient sa langue, et dans lesquels il ne pouvait plus voir que des compatriotes. Bien que docile

  1. Ces affaires de Gallicie ont donné lieu à un écrit très distingué de pensée et dans lequel une modération, une réserve parfaites s’unissent à une connaissance approfondie des relations et des intérêts réciproques de L’Allemagne et de la Pologne. Cet écrit, qui a été reçu avec beaucoup de faveur dans les deux pays, est intitulé : Briefe eines Polnischen Edelmannes an einen Deutschen publicisten. Il ne faut pas le confondre avec la Lettre panslaviste d’un gentilhomme de Gallicie au prince Metternich.