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se maîtrisant à peine ; sinon je vais me reprendre à rire, et cela me fait mal, outre que c’est inconvenant.

Là-dessus, au grand regret de Laure, elle changea le cours de l’entretien. Mlle Levrault, dont la défiance et la curiosité venaient d’être singulièrement éveillées au sujet du vicomte, essaya vainement de remettre son nom sur le tapis ; la marquise se renferma dans cette réserve obstinée qui est la pire des indiscrétions. En revanche, elle combla la jeune fille d’attentions de tout genre et se montra pour elle d’une grâce exquise, d’une bonté parfaite. Elle avait cette haute aristocratie de manières qui relève le prix des moindres prévenances, frappe à son coin la menue monnaie de la politesse courante, et d’un brin de muguet sait faire un épi de diamans. Les complimens ne lui coûtaient rien ; mais la flatterie, en passant par ses lèvres, pouvait être prise pour la fleur de la vérité. Un serviteur avait apporté un plateau chargé de fruits et de sirops. La marquise voulut servir elle-même la jeune amazone, et s’en acquitta avec une courtoisie qui toucha vivement la vanité de Mlle Levrault. Puis elle la promena sur les plates-formes du château et dans les allées d’un parc qui, sans être considérable, était charmant, grâce aux soins qu’il n’avait pas reçus depuis plus de vingt ans. Rien ne rappelait, dans cette habitation, le luxe et le faste de la Trélade. Au contraire, tout y ressentait l’abandon et la pauvreté ; mais aussi on y retrouvait à chaque pas les traces authentiques d’une longue suite d’aïeux, et Laure eût donné volontiers pour ces écussons, ces portraits de famille et ces tours crénelées, la Trélade, la meute et les dix chevaux de son père, avec Barbanpré, Kerlandec et Montflanquin par-dessus le marché.

Les heures s’envolaient. Mlle Levrault, que la marquise avait ramenée dans le salon, se leva pour prendre congé.

— Je vous reverrai, n’est-ce pas ? dit la marquise d’une voix caressante.

— Soyez sûre, madame la marquise, que mon père s’empressera de venir vous offrir ses hommages et vous remercier de l’accueil que j’ai reçu au château de La Rochelandier. Pour moi, je n’oublierai jamais votre aimable hospitalité.

— Vous direz de ma part à M. Levrault qu’il a une fille adorable. J’avais entendu parler de sa richesse, et pourtant j’étais loin de me douter qu’il eût un trésor si précieux ; mais, j’y pense, mademoiselle, ajouta la marquise se ravisant, vous ne pouvez pas retourner seule à la Trélade. Nos sentiers vous sont inconnus, ou tout au moins peu familiers. Attendez, pour partir, que mon fils soit rentré ; Gaston se fera un plaisir de vous accompagner.

Jusque-là Mme de La Rochelandier n’avait pas dit un mot de son fils.