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tire, même aux yeux des malhonnêtes courage ; il compte ce qu’il a gagné à bien faire : voilà le calcul. Sa vertu en a-t-elle moins de prix ? De même une nation intelligente qui s’aperçoit de ce que ses bonnes qualités lui rapportent en ordre, en prospérité, en durée, s’y attache et y persévère par intérêt bien entendu. N’en demandons pas davantage. Nous ne faisons pas une théorie à l’usage des héros.

Tout n’est pas charité, sans doute, dans le soin que la bourgeoisie anglaise prend des petits. Je veux même qu’il y entre le désir de conjurer cette force qui emporte tout. Aimerait-on mieux qu’elle attendît, dans l’imprévoyance de l’égoïsme, qu’on lui vînt arracher ce dont elle n’aurait rien voulu donner ? Et s’il est vrai que sa charité soit du calcul, n’est-ce pas pure chicane de disputer le nom de vertu à cette sagesse qui compose notre bonheur de beaucoup de bien pour nous et d’un peu de bien pour les autres ? Mais non ; donner, c’est-à-dire s’ôter quelque chose des mains ; reconnaître, dans ce qu’on possède, la part d’autrui ; avouer une dette qu’on n’a pas souscrite ; rendre à Dieu, par la main des pauvres, une partie des fruits du travail qu’il a béni ; apporter sa redevance à celui que Bourdaloue, dans sa familiarité sublime, appelle le caissier des pauvres, c’est et ce sera toujours de la vertu. Et la charité faite en grand, la charité passée à l’état d’institution, est et sera toujours la première des vertus politiques chez un peuple libre. La sportule romaine n’en était qu’une image bien grossière ; mais le principe est le même, et je ne m’étonne pas de le trouver chez le peuple le plus politique de l’antiquité.


VII

La bourgeoisie française a-t-elle quelque chose à imiter des classes moyennes en Angleterre ? Une imitation de ce genre est-elle possible et honorable ?

Certes, il ne s’agit pas de demander, ni même d’espérer que, n’ayant pas, comme les Anglais, les avantages de l’isolement, ni la plénitude de l’indépendance extérieure, nous ayons cette attention exclusive et tranquille sur nous-mêmes, qui leur révèle les besoins généraux de leur pays et les avertit du moment d’y pourvoir, qui leur permet d’attendre les progrès sans impatience et de les opérer sans secousse, qui enfin les rend à la fois très stricts et très impartiaux sur la conduite de leur gouvernement. Mais n’est-il donc pas possible qu’une nation douée comme la nôtre se donne, par l’intelligence et le raisonnement, des qualités qu’elle n’a pas, ou perfectionne du moins celles qu’elle a ? N’y a-t-il pas pour les peuples, comme pour les individus, une culture,