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proche lui adresser ? Pouvait-elle lui faire un tort des événemens accomplis ? Cependant Gaston devinait trop bien ce qui se passait en elle.

En lisant le décret qui abolissait la pairie, M. Levrault se crut dépouillé. Il s’enferma tout un jour pour mesurer à loisir la profondeur de l’abîme où venaient de s’engloutir ses espérances. Il contemplait avec tristesse ces armoiries, fruit de tant de laborieuses méditations, que devait surmonter une couronne de comte, ce Mirabeau qui devait lui enseigner l’éloquence, et surtout, ô douleur ! ce magnifique habit brodé, qui devait figurer dans les quadrilles des Tuileries. Plus de titre, plus de cour, plus de chambre haute : son gendre lui avait fait banqueroute.

La marquise se réveillait chaque matin encore plus exaspérée que la veille ; elle pestait contre le monde entier et parlait de partir pour Frohsdorf ou d’aller soulever la Vendée. Son premier mouvement avait été de s’enfuir à La Rochelandier ; mais Gaston l’avait retenue. Il ne partageait pas les folles terreurs de sa mère, et pensait que la place d’un homme de cœur était à Paris, sur la brèche, au milieu du danger.

On peut se faire aisément une idée de l’intimité de ces quatre personnages réunis sous le même toit. C’était chaque jour, une nouvelle discussion, c’est-à-dire une nouvelle querelle. M. Levrault avait fermé sa porte à tous les visiteurs dont le nom aurait pu le compromettre. Il avait repris possession de son hôtel, et se vengeait de sa déconvenue sur la marquise et sur Gaston. Il vantait, il exaltait devant eux, il célébrait comme des chefs-d’œuvre de bon sens et de justice les décrets qui l’avaient frappé lui-même si cruellement. 11 traitait les titres d’oripeaux, de vieux galons bons à mettre au creuset. Le soir, il se promenait dans son salon en fredonnant la Marseillaise. Lui qui naguère avait toujours la bouche pleine de princes, de ducs et de marquis, ne reconnaissait plus qu’un seul titre, celui de citoyen. Chaque soir, ils se quittaient après un échange de paroles amères, et pourtant un sentiment de commune inquiétude les réunissait le lendemain.

Le blessé recueilli par M. Levrault, loin de le rassurer par sa présence, n’était pour lui qu’un nouveau sujet d’effroi, gardait une attitude hostile, et n’attendait que le moment de sa guérison pour quitter l’hôtel. Vainement M. Levrault, qui voulait faire de lui son sauveur, avait essayé de l’apprivoiser ; Solon Marche-Toujours (c’était le nom et le sobriquet du héros) avait repoussé toutes ses avances. La marquise et son fils avaient toujours refusé de rendre visite à Solon. Mme de La Rochelandier, malgré sa frayeur, n’avait pu se résigner à cet acte de condescendance, et Gaston, qui, dans toute autre circonstance, n’eût pas dédaigné de lui serrer la main, aurait rougi de s’associer, par une telle démarche, à la couardise de son beau-père. Les amis du blessé, que M. Levrault avait reçus chez lui comme un surcroît de garantie.