Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/1012

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je n’ai rien pris au peuple, répondit M. Levrault ; mais, pour le soulager, je ne reculerai devant aucun sacrifice.

— Écoutez, continua maître Jolibois avec un accent paternel ; M. de Rothschild a souscrit pour dix mille francs : c’est un étranger, et il n’était que baron.

— Mais, moi, je ne suis rien, reprit M. Levrault avec orgueil ; j’ai toujours méprisé les titres.

— Et votre gendre, n’était-il pas marquis ? Je vous le répète, mon cher monsieur Levrault, vous avez beaucoup à vous faire pardonner. Portez à l’Élysée votre vaisselle plate, souscrivez généreusement pour les martyrs de la liberté, et venez me voir demain ; vous pouvez compter sur moi. Le gouvernement provisoire n’a rien à me refuser. J’obtiendrai pour vous, à votre choix, un poste administratif ou diplomatique. Le visage de M. Levrault s’épanouit.

— Mon choix est fait d’avance, mon cher Jolibois. De tout temps je me suis senti né pour la diplomatie.

— Eh bien ! répondit Jolibois, vous serez servi à souhait.

Le même jour, M. Levrault portait à l’Élysée sa vaisselle plate et donnait vingt mille francs à la caisse des blessés de février ; le lendemain, cette double offrande était inscrite au Moniteur.

XVI.

M. Levrault allait donc enfin jouer un rôle ; la carrière politique s’ouvrait enfin devant lui. Ce n’était pas sans raison qu’il avait préféré la diplomatie à l’administration. Sans avoir une idée bien nette du droit des gens, il savait cependant que partout la personne d’un agent diplomatique est sacrée, et puis il espérait retrouver dans les cours étrangères l’occasion de porter son habit brodé. À l’heure indiquée, il se présentait chez maître Jolibois.

— Recevez mes complimens, dit maître Jolibois en lui tendant la main. J’ai lu ce matin votre nom dans le Moniteur ; vous vous êtes conduit en grand citoyen, en vrai patriote. La république ne sera pas ingrate, et saura vous récompenser dignement. J’ai vu hier soir le chef du cabinet des affaires étrangères ; il nous attend. Venez, ne perdons pas un instant. Le poste qu’il vous destine vous fera bien des envieux. Battons le fer tandis qu’il est chaud.

M. Levrault ne se possédait pas de joie et se confondait en remerciemens. Une heure après, maître Jolibois introduisait son client à l’hôtel des Capucines. Le cœur de M. Levrault battait à coups redoublés. À la vue de Jolibois, l’huissier de service ouvrit la porte d’un cabinet. Un homme de trente ans au plus, à l’œil fin, à la bouche railleuse, était assis devant un bureau chargé de papiers et de cartons.