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sans danger ; peut-être aurez-vous le sort des envoyés français à Rastadt.

— Quel sort ? demanda M. Levrault.

— Si l’on osait porter la main sur vous, attenter à votre vie, soyez tranquille, la France vous vengerait.

— Quel a donc été le sort des envoyés français à Rastadt ?

— Ils ont été lâchement assassinés.

— Assassinés ! s’écria M. Levrault.

— Reculeriez-vous devant le danger ?

— Jamais ! s’écria M. Levrault tremblant de tous ses membres.

— Je réponds de lui, ajouta Jolibois. S’il a pâli en vous écoutant, c’est d’indignation, non de crainte. Ce tragique souvenir ne saurait l’ébranler.

— Quand partirai-je ? reprit M. Levrault d’une voix où se trahissait toute sa terreur.

— Quand vous lirez votre nomination dans le Moniteur, venez chercher vos lettres de créance, et vous partirez sur-le-champ. Je vous recommande la discrétion la plus absolue. Ne parlez à personne de votre mission. Il faut que votre départ pour Berlin prenne au dépourvu toutes les chancelleries d’Europe.

— Eh bien ! dit Jolibois à M. Levrault en arrivant sur le boulevard, vous avez maintenant le pied dans l’étrier ; c’est à vous d’aller en avant. Quelle magnifique carrière s’ouvre devant vous ! Si vous échappez au sort des envoyés français à Rastadt, peut-être à votre retour vous confiera-t-on le portefeuille des affaires étrangères.

M. Levrault ne répondait pas. Jolibois continua :

— Vous pouvez facilement mettre votre vie en sûreté. Munissez-vous d’une bonne cotte de mailles à l’épreuve de la balle et du poignard, cachez-la sous votre costume diplomatique, et vous défierez hardiment tous les complots.

— J’avoue, dit enfin M. Levrault avec mélancolie, que j’aurais mieux aimé représenter le commerce français auprès des villes anséatiques.

— Parlez-vous sérieusement ? demanda Jolibois d’un ton sévère. La république, en mère généreuse, vous offre l’occasion de la servir au péril de vos jours, et vous hésitez ! Me serais-je trompé sur votre compte ? N’êtes-vous pas un cœur intrépide, une ame républicaine ? Me suis-je trop avancé en parlant de vous ? J’ai répondu de Guillaume Levrault comme de moi-même. Aurai-je donc à rougir de mon amitié pour vous ? Regrettez-vous la parole que vous avez donnée ? Il est temps encore de la retirer ; mais, songez-y bien, si vous ne partez pas, je ne réponds plus ni de votre fortune ni de votre vie.

— Je partirai, répliqua M. Levrault, vous n’aurez pas à rougir de moi. Seulement, je croyais, je m’étais laissé dire que partout la per-