Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/1023

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vraiment dévoué à la justice, à l’égalité. Jusqu’ici, notre sainte cause n’a pas eu d’organe ; donnez-moi cent mille écus pour fonder un journal qui s’appellera la Vérité sociale.

— Cent mille écus ! s’écria M. Levrault ; cent mille écus pour la vérité sociale, pour une vérité dont nous ne verrons pas l’avènement, c’est toi-même qui l’as dit ! Cent mille écus pour une vérité dont je ne sais pas encore le premier mot !

— Croyez-vous donc qu’un jour, une semaine, un mois tout entier, suffisent à vous expliquer ce qui a été la pensée, le travail de toute ma vie ? Donnez-moi de quoi fonder la Vérité sociale ; vos yeux s’ouvriront à la lumière, et nos frères vous béniront.

Vainement M. Levrault insista pour savoir le mot de l’énigme : Timoléon s’enveloppa d’un voile impénétrable et demeura sourd à toutes ses questions. Deux heures du matin venaient de sonner. M. Levrault, éclairé trop tard sur les vrais principes de Timoléon touchant l’héritage, tout en regrettant d’avoir, avec tant d’imprudence, ouvert ses bras à son fils, sentait bien qu’il ne pouvait lui refuser cent mille écus après avoir donné un million de dot à sa sœur. Il promit donc de subvenir à la fondation de la Vérité sociale. Le père et le fils se séparèrent pour aller chercher le repos, M. Levrault songeant au moyen de sauver sa bourse, et Timoléon bien résolu, depuis qu’il se savait héritier, à congédier le plus tôt possible les camarades qui grugeaient son père.


XVIII.

L’hôtel Levrault était devenu un véritable enfer. Timoléon voulait jouir sans retard de tous les avantages attachés à sa nouvelle condition. En attendant la somme qui devait lui être comptée pour la fondation de la Vérité sociale, il avait accepté quelques menues poignées d’or et jeté sa blouse aux orties. Transformé en un clin d’œil des pieds à la tête, il commandait en maître, parlait aux valets d’une voix dure et hautaine, contre-carrait à tout propos la marquise et Gaston, raillait les travers de M. Levrault, et reprochait sans pitié à sa sœur ce qu’il appelait sa mésalliance. Il avait congédié ses frères, et ne parlait plus de son apostolat. Froissée dans son orgueil, vingt fois la marquise avait formé le projet de retourner à La Rochelandier, mais elle avait toujours ajourné son projet, car elle ne sentait pas en elle-même la force de renoncer à cette vie opulente qui lui avait déjà coûté tant de sacrifices : elle se défiait de Timoléon et restait pour veiller au grain ; puis, quand, elle vit la république, dont le seul nom l’avait d’abord épouvantée, si clémente pour les partis vaincus, elle releva la tête et prit part à toutes les petites intrigues qui déjà s’agitaient dans l’ombre. Gaston s’interrogeait avec anxiété, cherchait un rôle et attendait. Laure,