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donnait à entendre que la politique de Bem devenait une grande gêne pour le gouvernement, et qu’elle contrariait trop souvent les intentions des Magyars. « Il est trop populaire, » disait ce même personnage, et c’était justement là le secret des ménagemens que l’on se croyait obligé de lui témoigner. Je ne doute nullement que les Magyars, à la suite de ces affaires, n’aient songé, sinon à se passer des services de Bem, au moins à le priver de son commandement en chef, et je ne doute pas davantage qu’ils ne l’eussent fait hardiment, si la renommée de Bem ne leur eût opposé un invincible obstacle. Bem était arrivé au plus haut degré de popularité : il avait fanatisé ses soldats jour sa personne, nom avait pris quelque chose de prestigieux et de mythologique, et l’imagination vive des peuples de la Transylvaine transformait littéralement le général polonais en un être surnaturel. Les Szeklers étaient persuadés que les balles ne pouvaient pas l’atteindre. Un paysan racontait que, sous ses yeux, le général polonais avait été frappé par une bombe en pleine poitrine, sans recevoir aucune contusion. En un mot, l’existence de Bem était passée à l’état de légende. Qui pouvait le remplacer ? C’était, en effet, bien plus qu’un homme, c’était une armée. Il était l’unique lien en même temps que le chef des soldats qu’il commandait. Lui absent, l’armée de Transylvanie s’évanouissait sans qu’il en restât trace. Aussi Bem fut-il respecté, quoiqu’il fût gênant, et, si on ne lui a point décerné les honneurs dont certains nouvellistes nous ont parlé, si l’on n’a point détaché pour lui un diamant de la couronne de Hongrie, on lui a du moins témoigné officiellement la reconnaissance qu’on lui devait.


III

Sur un autre théâtre, les généraux polonais furent moins heureux. Dembinski, malgré son expérience et son talent, ne put, comme Bem, faire prévaloir son influence dans les conseils des Magyars. La tâche même qui lui était confiée de mettait en contact permanent avec leurs passions. Il ne commanda pas long-temps en chef ; d’autres ambitions triomphèrent bientôt de la sienne. Et cependant son mérite est considérable, puisqu’il a su le premier réunir les forces dispersées des Magyars, les habituer à tenir patiemment devant le feu d’une armée régulière, et leur apprendre ainsi, le lendemain de leurs désastres, qu’ils pouvaient reprendre l’offensive avec avantage.

Le général Dembinski ne s’était point présenté en Hongrie spontanément comme Bem, mais après réflexion et sur les propositions du représentant des Magyars en France, le comte Ladislas Teleki. Si l’on en juge par un manifeste que le général adressa lui-même à ses compatriotes avant de quitter Paris, il n’était arrivé que par, degrés à la résolution