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plus telle quelle doit exister, c’est-à-dire comme une sorte de providence veillant au-dessus de la société. Elle servait jadis à mesurer le degré de foi et de confiance aux institutions établies et aux hommes chargés de gouverner ; maintenant il n’est plus question de tout cela. Elle n’exprime plus qu’une chose, à savoir : la fluctuation des idées qui emporte les esprits. Il n’y a plus d’opinion publique véritable, de jugement porté sur des choses stables. L’opinion publique se laisse entraîner par le courant des événemens qui emportent la France en constatant, par un mot ou un regard rapide, sous quels degrés de latitude ou de longitude morales sont placées les rives qui fuient sous nos yeux. Il faut que l’opinion publique redevienne ce qu’elle a été, une providence humaine, et qu’elle cesse d’être l’interprète de la fatalité, l’organe qui constate les faits accomplis Elle doit prévenir les événemens, et non pas se borner à les déplorer. Les faits ont pris, sur nous un tel ascendant, que nous nous sommes habitués à compter sur eux. On les redoute alors même qu’ils n’existent pas encore. Les plus sages se croisent les bras et attendent un événement heureux qui vienne les délivrer : ils comptent sur les faits pour les tirer d’embarras ; les plus fous se querellent et se font peur les uns aux autres au milieu des ténèbres de la situation, comme les enfans se font peur dans l’obscurité. Qu’indique ce jeu puéril et dangereux qui peut amener des crises nerveuses, des évanouissemens, des folies subites ? Il prouve, me répondrez-vous, que la solidarité des intérêts ne suffit pas toujours pour étouffer les passions. Eh bien ! non : il indique simplement l’empire que les accidens extérieurs et les faits matériels ont pris sur nous, le perpétuel besoin d’émotions naturel à un peuple aussi vieilli que nous le sommes. Nous sommes habitués aux soubresauts violens, aux surprises, aux vifs battemens de cœur, et nous ne sommes plus à notre aise lorsque tout cela vient à nous manquer. Nous nous créons des frayeurs, même au milieu des ténèbres, l’asile naturel et fécond des frayeurs et des surprises. Nous errons au milieu du monde des rêves et nous demandons encore des émotions nouvelles et du merveilleux !

L’incohérence est donc à son comble. Elle est, depuis que l’anarchie n’est plus l’état habituel de la France, depuis les funèbres batailles, le caractère principal de la situation. Voilà un an qu’elle domine en reine, elle mêle tous les élémens de la vie ; les choses les plus éloignées se rejoignent, les choses les plus rapprochées se séparent. Cette pression des faits sur l’esprit, ces événemens qui sont plus forts que la liberté morale de l’homme, donnent le vertige aux générations sur lesquelles pèse cette fatalité brutale. Sur toute la surface de l’Europe, les faits sont souverains, les hommes ne peuvent rien ou plutôt ils manquent. De plus en plus, les danses bizarres des objets inanimés