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vieux savant penché sur ses fourneaux. Goya peindrait à son tour les scènes qui précèdent la destruction, les personnages instrumens des révolutions, les esprits sinistres évoqués par les alchimistes de Rembrandt, le monde funèbre des souterrains sociaux et les habitués des caves des sociétés secrètes, les héros de la rue, les types de la misère et du désespoir rendus terribles et actifs par l’évocation des magiciens. Goya serait l’intermédiaire et remplirait l’espace qu’il y a entre Rembrandt et Martinn, c’est-à-dire l’espace que remplit la délibération entre la pensée et l’action.

Ou bien, en littérature, si on pouvait combiner Jean Paul, Hoffmann et Swift, on aurait la chance d’obtenir un tableau assez complet des deux dernières années. On aurait, avec ces trois hommes, l’esprit qui pleure sur les ruines, le monde céleste qui sourit de dédain, puis les feux follets qui égarent le voyageur, et la vipère qui siffle sur le bord du chemin. Avec des ruines pour scène et encadrement, pour personnages des vipères et des feux follets, on aurait le tableau complet des événemens actuels.

De telles œuvres, artistiques ou littéraires, i’existent pas ; cependant, de même que le caractère de la situation frappe maintenant tous les yeux, ainsi la forme sous laquelle doivent être représentés les événemens contemporains commence à être l’objet des préoccupations de plus d’un esprit cultivé. Nous avons sous les yeux un essai littéraire intitulé la Nuit de Walpurgis, où l’auteur a essayé de peindre poétiquement la série des événemens et des personnages de la révolution de février. L’Allemagne nous a envoyé dans ces derniers tems un cahier de gravures intitulé : Encore une Danse des morts, dues au crayon d’un Allemand, M. Alfred Rethel, et enrichies d’un commentaire poétique de M. Reinick. Les tendances de ces deux essais sont les mêmes ; elles sont réactionnaires, comme on dit aujourd’hui ; mais le point de vue est différent. L’Allemand a pris la révolution de février sous son aspect le plus sinistre : la Danse des morts révèle la pensée philosophique de la révolution ; la Nuis de Walpurgis s’attache surtout aux événemens et aux hommes.

Il y a une très heureuse invention dans ce petit poème : c’est le travestissement des révolutionnaires modernes en mandragores. On sait quel est le rôle des mandragores dans le monde surnaturel. La mandragore est une racine qui naît à minuit, au pied d’un gibet. Elle est en assez mauvais état lorsqu’on la tire de terre ; elle est humide et sale, elle pousse une petite plainte criarde et stridente ; mais après qu’on a fait sa toilette, après qu’on a peigné les feuilles vertes qui forment sa chevelure, lorsqu’en guise d’yeux on lui a mis deux grains de mil sur le front, alors il n’est rien qu’elle ne se croie permis ; elle se passe toutes ses fantaisies, se livre à toutes les excentricités.