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silence, avec calme, et menaçaient encore. Cela n’importait guère à nos soldats ; ils s’inquiétaient peu de la politique, et, pourvu que le troupeau eût été ramassé, ils étaient satisfaits ; le soir donc, on fêtait la victoire par de nombreux festins, dont les quartiers d’agneaux, les plats de cervelles et les rôtis de moutons kabyles faisaient tous les honneurs.

Les tribus étaient désarmées, les chefs retenus en otage, et cet heureux succès nous avait rendus maîtres, en un seul coup de filet, de toutes les populations du sud de l’Ouar-Senis. Restait à recevoir la soumission des tribus du nord, mais il fallait auparavant nous débarrasser de notre troupeau et de nos prisonnier. Le 24 donc, nous prenions, avec nos dix mille têtes de bétail, la route de Teniet-el-Had, nouveau poste établi sur la ligne de partage des eaux à trois lieues des plateaux du Serrssous. Deux jours après, nous traversions le magnifique bois de cèdres d’où l’on aperçoit Teniet-el-Had. La variété des points de vue et des accidens du terrain, son étendue de près de cinq lieues, la grosseur majestueuse des arbres, font de cette forêt un des endroits les plus curieux de l’Afrique ; pourtant il n’est pas prudent de s’y aventurer seul, car l’on trouve partout les larges traces en forme de grenade qui signalent la présence des lions. Le colonel Korte du 1er  chasseurs d’Afrique, commandant supérieur de Teniet-el-Had, était venu au-devant du général, monté sur un magnifique cheval blanc. Il le maniait avec la grace d’un cavalier formé aux traditions de l’ancienne équitation française. Qui se serait attendu à rencontrer dans ces solitudes, au milieu de ces Arabes indomptés, un représentant de la petite écurie de Versailles, sans rivale dans le monde ? Mais le colonel ne se contentait pas d’être un des meilleurs cavaliers de l’armée, tous estimaient son courage, et du point où nous étions nous voyions Aïn-Tesemsil, le plateau du Serrssous, où le général Changarnier avait ordonné une razzia que le colonel Korte exécuta avec autant de bonheur que d’audace. Le 1er  juillet 1842, au moment où la colonne du général Changarnier s’établissait au bivouac, ses coureurs lui annoncèrent une foule immense d’Arabes émigrans qui s’enfuyaient vers le sud. Le général alla la reconnaître, et, au retour, lança sur ces populations le colonel Korte et les deux cent vingt chasseurs, sa seule cavalerie. Les zouaves le soutenaient en cas de revers. Cavaliers, chameaux, femmes, enfans, troupeaux, c’était une multitude couvrant près de trois lieues de pays, protégée par plus de quinze cents cavaliers. La moindre hésitation eût perdu le colonel Korte ; aussi, comptant sur l’effroi que les chasseurs à cheval ont toujours inspiré aux Arabes, il se jeta hardiment à travers les émigrans, coupant un grand carré qu’il rabattit sur la colonne. Les coups de fusil furent nombreux, bien des nôtres y restèrent ; mais enfin, se faisant un rempart des chameaux porteurs de palanquins destinés, selon