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notre marche pacifique, les souvenirs du combat de l’Oued-Foddha recueillis sur les lieux mêmes.

À quatre journées de Milianah, au milieu de la vallée du Chéliff, de vieilles murailles romaines se tiennent debout, rendant encore témoignage de la puissance des anciens dominateurs du pays. Au pied de ces murailles, non loin des grands chaumes et des herbes desséchées, des jardins délicieux, des arbres fruitiers, des orangers, des grenadiers, de belles sources limpides, vous invitent à la halte, et de longues vignes, s’enlaçant de branche en branche, courent et forment des tonnelles de verdure, abris pleins de fraîcheur pour le voyageur fatigué. C’est en ce lieu que la colonne du général Changarnier, forte de 1,200 hommes d’infanterie, de 300 chevaux réguliers et de 400 cavaliers arabes, se reposait de ses nombreuses courses sous un soleil ardent, au mois de septembre 1842, tout en protégeant de sa présence les tribus nouvellement soumises, et en donnant l’aman à celles qui venaient en grand nombre le demander. L’on était depuis quelque temps à El-Arour[1], lorsqu’une lettre de notre agha du sud arriva au camp. Menacé par Abd-el-Kader, Ahmeur-ben-Ferrah demandait secours au général Changarnier, le suppliant d’arriver en toute hâte, s’il ne voulait apprendre bientôt la ruine et le massacre des tribus auxquelles la France devait sa protection. Venir à son aide au plus tôt était de la dernière importance ; mais, si l’on passait par Milianah, la route s’allongeait de quatre jours ; par la montagne, au contraire, en deux marches l’on pouvait être à portée de lui prêter appui. Les dispositions des tribus semblaient pacifiques. Les chefs arabes assuraient que l’on ne recevrait point un seul coup de fusil. Ils parlaient bien d’un défilé très difficile, mais on disait qu’il n’avait pas plus de deux heures de marche. D’ailleurs, il n’offrait de dangers qu’en cas d’hostilités de la part des tribus riveraines, dont, la veille encore, les chefs étaient au camp avec des paroles amies. Enfin le général avait sous ses ordres des zouaves, des chasseurs d’Orléans et des chasseurs d’Afrique, commandés par le colonel Cavaignac, le commandant Forey et le colonel Morris. Avec de si vaillantes troupes et de pareils lieutenans, il n’y avait nul péril à redouter ; aussi sa décision fut bientôt prise : l’on passerait par la montagne.

La veille du départ, nos malades furent envoyés, à Milianah sous escorte, et les tombes romaines reçurent ceux qui avaient succombé. Un zouave fut déposé dans un sépulcre chrétien, et la croix trouvée en fouillant la terre fut placée, au milieu du respect de tous, sur la pierre du soldat mort à la fatigue ; en ce pays ami, l’on n’avait à craindre aucune profanation. Le lendemain 17, la petite colonne se mettait en

  1. Nom de ces jardins.