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à l’œil des curieux pour être cachées dans un vase et un groupe dans les parterres plantés sous les fenêtres du château. Les deux figures d’Hippomène et Atalante surtout étaient d’une charmante exécution. Les deux amans couraient aux extrémités de la lice sur la même ligne, mais on voyait que la main d’Hippomène allait toucher la première le but. L’agonothète ou juge du camp était au commencement du stade. Que de fois ne me suis-je pas arrêté pour me faire juge de la course, au temps où les deux marbres vivans, lancés dans la carrière, n’avaient pas été enlevés à leurs jeux ! Quel charme ! quelle délicatesse ! quelle ardeur passionnée dans ces aimables figures ! — Et tout ce drame d’amour et d’art était perdu depuis, loin de tous les yeux, derrière des sauts de loup et des charmilles ! On travaille aujourd’hui à la restitution de ces charmans groupes ; les statues remontent déjà sur leurs piédestaux ; l’agonothète se fait encore attendre, mais bientôt il va reprendre sa place et donner le signal de la course amoureuse. Je voudrais que le charmant coureur de M. Cavelier trouvât aussi un asile dans ce jardin des Tuileries, où l’on peut étudier avec orgueil, comme dans un musée en plein air, l’école de notre pays. Quant à la statue de Pénélope, si justement couronnée par le jury, elle ne quittera pas la France. Elle a été acquise par M. le duc de Luynes, un de ces esprits élevés que réchauffe encore le vif sentiment des arts, et elle devient l’un des ornemens du château de Dampierre, décoré de la main du grand artiste, M. Ingres. Le jeune et modeste sculpteur ne demandait que 8,000 francs de sa statue ; le noble amateur, devançant le jugement qui vient de clore le salon, n’a voulu l’accepter que pour 12,000.

Au milieu de ces fêtes de l’art, la mort est venue jeter le deuil parmi les artistes en frappant l’un des talens les plus parfaits, un des caractères les plus aimables, une des intelligences les mieux douées de ce temps-ci, Mme Lizinka de Mirbel. Ses miniatures avaient acquis une réputation européenne, et son salon, un des derniers restes des temps de politesse, était le rendez-vous de toutes les élégances de l’esprit et des arts.

Fille, de M. Rue, commissaire de marine, Lizinka était née dans une famille dont toutes les branches étaient riches, excepté la sienne. Belle, vive et spirituelle, la jeune fille n’avait qu’un rêve, c’était de se suffire à elle-même pour recueillir auprès d’elle sa mère et un plus jeune frère. Enfin à dix-huit ans, après avoir long-temps cherché la voie qui pouvait la conduire à l’accomplis de son rêve, elle crut avoir trouvé sa vocation dans la miniature, et elle entra chez Augustin. De ce moment, chaque heure eut son emploi : telle fut consacrée au dessin à la maison et dans l’atelier, telle à la lecture, telle autre aux travaux de l’aiguille, où elle excellait comme dans tout le reste. Sur pied dès quatre heures du matin, et cependant toujours prête et jamais pressée, elle vivait le soir au milieu du monde, et le jour au sein de la plus sévère étude. Ce fut, en un mot, une jeunesse vaillante et forte, élégante à ses heures, dévorant le travail avant tout, et payant de toute son ame et de ses sueurs les succès de l’avenir encore lointain.

Toutefois, le péché originel des miniaturistes, c’est l’ignorance du dessin. Lizinka Rue pouvait bien apprendre, dans l’atelier d’Augustin, à faire tenir la couleur sur l’ivoire, à devenir habile aux petits procédés du métier ; mais le dessin, mais l’art lui échappaient. Un ami de sa famille, grand connaisseur en peinture et qui ne la pratique pas sans talent, M. Belloc, lui conseilla de quitter