Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/216

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et l’entente dans les contentions humaines, les élucubrations effrénées de la pensée ne produisent à la fin qu’un assourdissement et un obscurcissement universels. L’excès des controverses fait de nous des espèces de derviches hurleurs, chacun pivotant sur son idée fixe et mettant sa gloire à crier plus fort que le voisin. Il y a un moment où cette abrutissante confusion des langues devient intolérable, où l’esprit, agacé autant que les nerfs, demande à en finir et invoque la raison du plus fort et le jugement de Dieu. Alors la lutte s’ennoblit ; on sort de l’énervante atmosphère des polémiques troubles et des paroles vaines, et l’on respire l’air rafraîchissant et sain de l’action ; on ne se soucie plus que de bien faire ; on donne à sa cause le courage du soldat ou la foi du martyr. Alors l’intervention providentielle de la force épure les causes légitimes, châtie les fautes de tous et remet impérieusement dans le droit chemin les peuples domptés et quelquefois régénérés.

Je me figure que lorsque Charles Ier prit enfin le parti de terminer par les armes ses démêlés avec les communes, ce dut être un grand soulagement, en Angleterre, pour beaucoup de braves gens. Les disputes du roi et des communes duraient, depuis un grand nombre d’années. Le parlement se plaignait des usurpations et de la mauvaise foi du roi : le roi avait fait les concessions les plus extrêmes, les agitateurs populaires redoublaient d’exigence, et Charles ne pouvait davantage se fier à leur modération. On avait des deux côtés épuisé tous les argumens ; la justice entre les deux causes paraissait douteuse aux esprits les plus consciencieux. Il n’y avait qu’un recours : la force. Le 22 août 1642, Charles Ier leva son étendard dans la petite ville de Nottingham, et appela autour de ses couleurs ses sujets loyaux et fidèles.

Ce fut pourtant une triste cérémonie, accompagnée de tristes présages. Depuis plusieurs mois, Charles avait quitté Londres, laissant à ses ennemis toutes les ressources et toutes les forces de l’empire. Suivi d’une petite troupe d’amis, il avait promené ses irrésolutions errantes de château en château, de ville en ville. Quelquefois les habitans refusaient de lui ouvrir leurs portes ; d’autres fois ils le suppliaient de quitter leur pays, de peur d’y attirer la colère de ses ennemis et les malheurs de la guerre. À la fin, il résolut d’arborer son étendard à Nottingham. Au jour fixé, des milliers de curieux l’attendaient dans cette ville. C’était un jour d’orage et de tempête. Charles arriva tard. Du haut du vieux château en ruine, on voyait s’avancer le long de la Trent, au milieu des champs où commençait la moisson, les gentilshommes de la cavalcade royale, le bassinet en tête, le haubert sur leurs pourpoints de cuir, et, sur leurs épaules, le manteau à l’espagnole, qui laissait paraître leurs grandes bottes éperonnées et les fourreaux battans de leurs longues rapières. Il y avait dans la figure de Charles Ier une profonde mélancolie. Dès qu’il fut arrivé, ses serviteurs les plus