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soldats, munitions, argent ; puis elle arriva elle-même, escortée par l’illustre amiral hollandais Van Tromp ; elle faillit naufrager. Dans la tempête, elle rassurait ses dames pâmées d’effroi en leur disant que les reines d’Angleterre ne se noyaient jamais ; elle accompagnait de ses éclats de rire les confessions salées que ses gentilshommes effarés faisaient à haute voix à des prêtres mourant du mal de mer. Elle débarqua dans l’Yorkshire. Tous ceux de ce pays qui avaient quelque chose de chevaleresque dans l’ame l’allèrent rejoindre. Plusieurs mêmes qui étaient engagés au parlement se rallièrent à la cause royale, représentée par une femme jeune, belle, héroïque. Le vaillant Montrose, qui était alors à York, courut au-devant d’elle. Elle eut bientôt une petite armée dont elle se nomma de même généralissime (she-majesty generalissima). Elle arriva en triomphe à York, où commandaient Newcastle et Goring. Le roi la réclamait pourtant avec impatience à Oxford. Là commencèrent les difficultés qu’elle devait susciter aux opérations des royalistes. Les comtés qu’elle avait à traverser étaient occupés par les parlementaires ; il fallut que Rupert quittât le théâtre de la guerre pour lui frayer un chemin. De son côté, elle mit des lenteurs à se rendre au vœu de son mari. Pendant le trajet, elle se sépara avec tristesse de lord Charles Cavendish, brave et beau seigneur que les chroniques du temps lui donnent pour amant, lequel fut tué peu de temps après dans un engagement avec Cromwell. Elle trouva Rupert à Stratford-sur-Avon. Leur entrevue eut lieu chez la petite-fille et dans la maison de Shakspeare. La nouvelle Marguerite et le nouveau Clifford se rencontrèrent dans la chambre du poète qui avait mis en action la catastrophe dernier des Lancastre. La tragédie vivante vint s’asseoir au foyer du tragique mort. Henriette-Marie et Rupert ne firent point ces rapprochemens ; mais quelques jours après, lorsque Henriette eut revu Charles, lorsqu’elle eut efféminé ce cœur déjà si faible, lorsqu’elle eut bouleversé par ses exigeantes caresses les plans de la guerre, Rupert dut souvent mâchonner les mots du bouillant Hotspur : « Ce n’est pas le lieu de jouer avec les poupées et de becqueter des lèvres nous allons avoir des nez en sang et des couronnes brisées… Dieu du ciel ! mon cheval ! »

Heureux Charles ! heureuse Henriette-Marie ! si elle s’était contentée d’être une héroïne comme cette brave comtesse de Derby, qui soutint un siège victorieux contre les têtes-rondes dans son château de Lathom ; comme cette noble lady Arundel de Wardour, qui défendit aussi son manoir avec une poignée de domestiques, — la plus ravissante châtelaine qu’on ait vue, si son portrait ne ment point. Malheureusement Henriette fit de la politique ; elle dirigea des factions de cour ; elle contrecarra Rupert et appuya son adversaire Digby. Le premier résultat de son arrivée fut d’empêcher Rupert de marcher sur Londres après la prise de Bristol. Si la reine et ses favoris ne s’étaient opposés