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entière, et, grace aux pamphlets expédiés de Ferney avec une profusion intarissable, leur entreprise passa pour ce qu’il y avait alors de plus triste au monde, elle passa pour ridicule. Elle ne l’était pourtant pas autant que le prétendaient les philosophes et le roi de Prusse qui comparait les confédérés à des guêpes[1], et faisait des vers contre eux. Leur nombre se grossissait d’une foule de petites confédérations partielles qui vinrent se réunir à celle de Bar. Les comtes Potoçki, Paç, Krasinski, Myaczinski et d’autres principaux membres de la noblesse y avaient formellement adhéré : ils remportèrent des avantages partiels sur les troupes russes et sur la contre-fédération qui s’était formée à Varsovie sous les auspices du prince Repnin ; mais bientôt la discorde se mit entre les chefs, et on se ressentit de cette absence de science militaire qui, chez les Polonais, a toujours accompagné la plus admirable bravoure.

Toutefois, par cette triste habitude de recourir aux puissances étrangères, c’est à leurs négociations plus encore qu’à leur épée que les Polonais confiaient le salut de la patrie. Potoçki et Paç s’étaient rendus à Constantinople ; Krasinski, évêque de Kaminiek, était parti pour Versailles ; « il venait, disait-il, jeter la Pologne dans les bras de la France. » C’était toujours la même méthode que par le passé. Il ne s’agissait pas de rendre la Pologne indépendante, mais d’y substituer une protection à une autre. Krasinski promettait la déchéance de Poniatowski et l’acceptation d’un roi donné par la France, dont la couronne serait à l’unanimité proclamée héréditaire. Choiseul accueillit l’évêque de Kaminiek avec empressement ; il lui fit les protestations les plus chaudes en faveur des confédérés de Bar, s’engagea à leur fournir des secours d’argent et à leur envoyer un plénipotentiaire. Nous avons le compte-rendu de cet agent diplomatique. Son récit donne une idée très nette de la situation où il trouva la Pologne au moment où il y fut envoyé.

Il se nommait le chevalier de Taulès ; c’était un homme d’esprit, mais d’un esprit tout voltairien ; il l’avait puisé à la source, ayant été résident de France à Genève. Taulès avait passé sa vie à Fernrey très bien accueilli par le patriarche. Voilà l’homme que M. de Choiseul envoyait à des gens qui ne juraient que par la sainte Vierge. De là un malentendu inévitable, mais vraiment original. Cet agent a fait le journal de sa mission ; malgré l’incorrection de son style, il faut le laisser parler lui-même. Le faux XVIIIe siècle qu’on nous fabrique aujourd’hui dans les romans et dans les vaudevilles ne vaudra jamais trois lignes du véritable.

  1. « Cet essaim de guêpes, dispersé d’un côté, reparaissait aussitôt d’un autre. » Mémoires de 1763. Oeuvres de Frédéric, tome VI, page 22.