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roi. Je n’ai encore aucune connaissance de vos forces ; on m’a souvent parlé de camp, d’armée, d’artillerie, et je n’ai pu encore obtenir qu’on me fît voir ce camp, cette artillerie et cette armée. J’ignore tous vos plans ; les dispositions que vous faites me sont totalement inconnues. En marchant toujours, on ne dit jamais où l’on va je ne sais quels sont vos projets, vos craintes, vos espérances. Ne manquerais-je donc pas essentiellement à mon devoir, si, malgré l’ignorance absolue où vous me laissez, je vous remettais la somme dont je suis chargé, lorsqu’il m’est prescrit de m’assurer auparavant si elle peut vous aider dans vos projets et avancer vos affaires ? Dans l’impuissance où vous m’avez mis de rien faire pour vous, ma mission se réduit à ce que vous désirez de la France. Si vous daignez me confier vos idées, je les enverrai par un courrier à ma cour, qui ne manquera pas de me donner promptement des ordres en conséquence. »

« M. Krasinski, sans répliquer, me dit qu’il me remettrait un mémoire sur ce sujet, et me donna, quelques momens après, un chiffon de papier… Après l’avoir lu, je dis à M. Krasinski que son mémoire était trop général, et qu’il ne m’apprenait rien de la situation des confédérés, mais que je l’enverrais à ma cour.

« Alors il me demanda de nouveau si je ne voulais donc pas leur donner les lettres de crédit dont j’étais chargé, et il employa toute la petite adresse dont il est capable pour me les arracher : flatterie, espérances, menaces, injures, rien ne fut épargné…

« Après avoir été environ trois heures à parler avec M. Krasinski de choses indifférentes ou à ne rien dire, sans que je pusse l’engager à faire la réponse qu’il m’avait promise, il me proposa tout d’un coup d’aller à l’église. Etonné de sa dévotion et de son indifférence dans un temps qu’il aurait dû donner au soin de ses affaires, je lui dis : « Vous savez, monsieur, que je veux partir ce soir pour Mohilow, d’où je me propose d’envoyer un courrier en France ; de grace, expédiez-moi, ne négligez pas ces affaires ; elles sont assez importantes ; laissez là l’église travailler pour une cause qui intéresse la gloire de Dieu, c’est le prier et l’adorer. »

« Je m’en défendis en vain ; il m’entraîna malgré moi, il n’y avait qu’un moment que nous étions dans l’église, lorsqu’il me dit brusquement que, « puisque je ne leur donnais pas d’argent, il n’avait rien à me répondre ; que je n’avais même plus besoin de rester parmi eux, si je leur étais inutile ; que ma présence n’inspirait que de l’ombrage aux troupes, qui me prenaient pour un espion des Moscovites. » Je lui répliquai froidement que « l’opinion de la populace m’était indifférente, qu’il me suffisait d’être connu des chefs, et que d’ailleurs je ne demandais pas mieux que d’avoir la liberté de partir. »

« Un instant après, profitant d’un sermon polonais qu’un moine allait prononcer, je sortis, et je remontai au château. J’ordonnai en entrant qu’on mît les chevaux à la voiture. Je fus ensuite chez le comte Potoçki, et, en l’abordant, je lui dis que je venais prendre congé de lui. Instruit de ce qui s’était passé avec M. Krasinski, il m’approuva. Il me pria, si je partais, de ne pas le compromettre, c’est-à-dire de le ménager. Il me confirma que son dessein était de s’en retourner en Moldavie, et ajouta qu’en séjournant quelque temps chez