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et du parti militaire ; mais son désir d’accroître la puissance de la maison d’Autriche l’emportait sur tout autre sentiment et défiait tous les scrupules. Son patriotisme était une passion. Qui pourrait lui en faire un crime ?

Bientôt il fut impossible de douter de la connivence de M. de Kaunitz avec l’empereur, et d’un désir mutuel de se rapprocher du roi de Prusse. Il suffisait, pour les convaincre, de voir avec quel soin, tout en lançant encore de temps en temps, par une vieille habitude, des épithètes désobligeantes contre Frédéric, Kaunitz justifiait les démarches les plus équivoques de ce prince, le disculpait de tout projet d’envahissement et se faisait son avocat, même auprès de la cour de Versailles. Marie-Thérèse partit négligée par son ministre, on crut partout à une espèce de gouvernement occulte entre le chancelier et l’empereur, à l’insu de l’impératrice-reine ; mais on s’aperçut plus tard qu’il n’y avait rien de réel dans cette discorde fastueuse. Pour jouer une pièce nouvelle, il avait bien fallu faire une nouvelle distribution de rôles.

Il fut décidé entre l’empereur et le roi que la médiation de la Prusse et de l’Autriche serait proposée et, s’il le fallait, imposée à Catherine II. Ce n’était encore, sous un autre titre, que la pacification portée par le comte Lynar et rejetée par l’impératrice de Russie. Maintenant l’offre cachait une menace ; un refus pouvait amener la guerre. En dédaignant de prendre sa part, des dépouilles de la Pologne, Catherine risquait de s’attirer les armes combinées des deux puissances allemandes. Rien ne pouvait être plus agréable à Joseph qu’une telle éventualité. C’était un appât que le vieux roi présentait à un jeune ambitieux, avide d’affaires parce qu’il y était novice, jaloux surtout d’exercer, dès le début de son règne, une grande influence en Orient. Il lui demanda une entrevue, et cette fois il l’obtint.

Elle eut lieu à Neiss ; c’est là, c’est dans cette Silésie si regrettée, que Joseph vit pour la première fois le vieil adversaire, le vainqueur de sa maison. Tout ce que l’esprit, la grace, le désir de plaire, peuvent avoir de plus séduisant, fut mis en usage pour effacer une impression pénible. Fasciner le jeune empereur, le conquérir par toutes les marques de respect, de déférence, qu’il était possible d’accorder sans bassesse à l’héritier des Césars ; mêler avec art la subordination d’un électeur à l’autorité douce d’un vieillard et à l’ascendant d’un grand homme ; applaudir aux idées de l’empereur comme philosophe, à ses prétentions comme guerrier, à ses plans comme administrateur ; à chaque mouvement des lèvres ou des yeux, feindre de croire à une franchise qui, à force de vouloir paraître naturelle, se démentait à chaque syllabe, — à une simplicité trahissant l’orgueil qui en était la source ; placer enfin sans humiliation un héros, au niveau d’un jeune homme