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territoire en Pologne, mais qu’injustement attaquée par les Turcs, qui s’étaient saisis du prétexte de l’accident de Balta pour lui déclarer la guerre, elle ne ioulait pas en faire les frais ; que c’était aux Turcs à les payer en lui abandonnant, avec les deux Cabardies et Azof ancienne possession de Pierre Ier, une île dans l’archipel grec pour y former un entrepôt commercial, en stipulant la libre navigation de la mer Noire et l’indépendance des Tartares. Quant à la Moldavie et à la Valachie, elles formeraient des principautés indépendantes sous le protectorat de la Russie. Ni Joseph ni Frédéric n’acceptèrent ces conditions. Ils nièrent la possibilité de ces sacrifices pour la Porte ottomane, et insistèrent encore sur une indemnité en Pologne. Catherine déclara qu’elle continuerait la guerre. Alors Frédéric eut recours à des moyens plus efficaces que les dépêches des ambassadeurs et des ministres. Au lieu d’un diplomate de profession, il envoya à Pétersbourg son propre frère, le compagnon de ses travaux, l’illustre prince Henri. En attendant le résultat de cette démarche, Joseph II, d’accord avec le roi de Prusse fit filer des troupes pour s’emparer de Zips, district polonais enclavé dans la Hongrie.

L’écho des canons de Catherine, le son des cloches des églises de Pétersbourg qui annonçaient de continuels Te Deum, retentirent jusque dans Versailles. À ce bruit triomphal, les ennemis de M. de Choiseul élevèrent la voix, et irritèrent le ministre au lieu de l’abattre. La fièvre d’activité qui le dévorait circula plus ardente dans ses veines. Par un bizarre effet de la colère, il ne perdit rien de sa perspicacité, mais il ne voulut point en faire usage. Rien dans la conduite ambigu des cours de Vienne et de Berlin ne lui avait échappé ; il avait saisi d’un coup d’œil ce que leurs réunions et leurs pourparlers recelaient d’hostile pour la France. D’avance, il avait tout prévu, tout deviné ses dépêches sont remplies d’inductions précises ; mais, dès que l’événement pressenti se fut rapproché, dès qu’il eut passé des conjectures dans les faits, Choiseul s’efforça de ne plus y croire ; il s’arma contre son propre jugement, il eut recours à des illusions qu’il n’avait pas, et s’efforça de devenir sa propre dupe. Tant qu’il n’y eut aucun rapport ostensible entre Joseph et Frédéric, et que ce dernier se tint éloigné de frontières de la Prusse polonaise, Choiseul découvrait, indiquait aux agens diplomatiques les manœuvres des deux cours pour opérer un rapprochement entre elles. Il leur dénonçait les appétits secrets de Frédéric et ses projets de partage ; mais, lorsque l’événement l’eut justifié complètement, lorsqu’à Neiss, à Neustadt, les nouveaux alliés délibérèrent sur la Pologne, lorsque les envoyés de France à Berlin, à Varsovie, à Pétersbourg, à Constantinople, confirmèrent les prévisions du ministre, et lui en fournirent les preuves justificatives dans leurs dépêches, furieux d’avoir eu raison, il gourmanda leur prévoyance, la traita de prématurée, d’intempestive,